Haïti : information sur la situation sécuritaire et les groupes criminels, y compris le Groupe des 9 et les enlèvements; la protection offerte par l'État (2019-juillet 2021)
1. Situation sécuritaire
Selon des sources, il est [traduction] « difficile » d'authentifier les statistiques à l'égard de la criminalité en Haïti, et les crimes y sont sous-déclarés (Freedom House 3 mars 2021, sect. F3; É.-U. 29 avr. 2020).
D'après les conseils aux voyageurs à l'étranger de divers pays, la situation sécuritaire est « imprévisible » (Canada 22 mai 2021), « tendue » (France 14 avr. 2021), ou les actes de violence sont [traduction] « courants » (É.-U. 1er juin 2021).
Des sources rapportent que la dégradation de la situation en matière de sécurité en 2020 est l'une des causes des manifestations contre le président Jovenel Moïse (ACLED févr. 2021, 15; Nations Unies 11 févr. 2021, paragr. 17). Selon le Projet de données sur les lieux et les incidents de conflits armés (Armed Conflict Location & Event Data Project – ACLED), un organisme à but non lucratif qui mène [traduction] « un projet de collecte de données désagrégées, d'analyse et de cartographie de crise » dans diverses régions du monde, y compris l'Amérique latine (ACLED s.d.), il y a eu plus de 400 cas de violence politique et de manifestation en 2020, incluant [traduction] « presque » 330 décès, dont 90 p. 100 sont attribués à de groupes criminels (ACLED févr. 2021, 17).
Des médias signalent que le président Moïse a été assassiné, apparemment par des mercenaires, dans sa résidence à Port-au-Prince le 7 juillet 2021 (BBC 12 juill. 2021; Reuters 8 juill. 2021; The Washington Post 7 juill. 2021). Selon des sources, à la suite du décès de Jovenel Moïse, il y a eu [traduction] « un manque de clarté » (The Washington Post 7 juill. 2021) ou de la [traduction] « confusion » (The Guardian 8 juill. 2021; Reuters 10 juill. 2021) quant à savoir qui détient l’autorité pour diriger le pays (The Guardian 8 juill. 2021; Reuters 10 juill. 2021; The Washington Post 7 juill. 2021). Des sources signalent que Jimmy Cherizier [Cerizier, Cherisier], le chef d'un groupe criminel nommé le Groupe des 9 (G9), a lancé un [traduction] « avertissement implicite » (AP 11 juill. 2021) ou a réclamé « vengeance » (Radio-Canada 14 juill. 2021) [dans une vidéo publiée (Radio-Canada 14 juill. 2021)] en réponse à l'assassinat (AP 11 juill. 2021; Radio-Canada 14 juill. 2021). Pour obtenir plus d'information sur la situation politique en Haïti, veuillez consulter la réponse à la demande d'information HTI200654 publiée en juillet 2021.
Des sources signalent qu'il y a 500 000 armes illégales en circulation (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]; CARDH 22 juill. 2020, paragr. 5) selon la Commission nationale de désarmement, démantèlement et réinsertion (CNDDR) d'Haïti (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]). En se basant sur les cas signalés par la Police nationale haïtienne (PNH), un rapport des Nations Unies sur l'exécution du mandat du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) paru en février 2021 constate que 1 380 homicides volontaires ont été signalés en 2020, parmi lesquels 75 p. 100 ont eu lieu dans le département de l'Ouest, ce qui représente une augmentation de 20 p. 100 par rapport à 2019 (Nations Unies 11 févr. 2021, paragr. 19). Parmi les sources qu'elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n'a pas trouvé de statistiques sur les autres départements.
Des sources soulignent que la violence des gangs armés a provoqué le déplacement de 450 familles (Nations Unies mars 2021, 88) ou [traduction] « [d']au moins » 1 221 résidents (HRW 13 janv. 2021) du quartier de Bel-Air à Port-au-Prince en août 2020 (Nations Unies mars 2021, 88; HRW 13 janv. 2021). Selon Human Rights Watch (HRW), un cyclone en juillet 2020 et la violence des gangs sont la cause de [traduction] « la majorité » des déplacements qui ont touché « au moins » 12 000 personnes en 2020 (HRW 13 janv. 2021).
1.1 Impact de la crise sanitaire de la COVID-19
Selon un rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies,
[l]a pandémie COVID-19 a compliqué la situation sociale et sécuritaire [en Haïti] car son émergence s'est juxtaposée à une situation humanitaire déjà difficile notamment dans les domaines de l'insécurité alimentaire, de la malnutrition, des urgences sanitaires et des mouvements de population causés par la violence communautaire (Nations Unies mars 2021, 31).
Selon le rapport sur l'exécution du mandat du BINUH paru en février 2021, « un grand nombre » de fermetures d'école ont eu lieu en 2019 et 2020 en raison de la pandémie, des manifestations et « de l'insécurité due aux activités des bandes organisées » (Nations Unies 11 févr. 2021, paragr. 47). Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, les enfants qui ne fréquentent pas l'école sont plus à risque d'être recrutés par les groupes criminels (Nations Unies mars 2021, 75, 84).
2. Enlèvements
Des sources rapportent qu'il y a eu en Haïti une augmentation des enlèvements en 2020 par rapport à 2019 (ACLED févr. 2021, 15; Nations Unies 11 févr. 2021, paragr. 19). Selon le rapport sur l'exécution du mandat du BINUH, entre février 2020 et février 2021, « les enlèvements se sont multipliés de façon inquiétante, leur nombre ayant augmenté de 200 % par rapport à l'année précédente : 234 cas ont été signalés en 2020 (dont les enlèvements de 59 femmes et 37 mineurs), contre 78 en 2019 » (Nations Unies 11 févr. 2021, paragr. 19). D'après le Centre d'analyse et de recherche en droits de l'homme (CARDH), une organisation à but non lucratif située à Port-au-Prince et citée par Reuters, on compte 796 enlèvements en 2020 (Reuters 26 avr. 2021) et [traduction] « au moins » 91 enlèvements en avril 2021 (Reuters 19 mai 2021). L'ONG haïtienne Défenseurs plus, citée dans un rapport d'AyiboPost, une plateforme de média en ligne qui se concentre sur le journalisme explicatif sur Haïti (AyiboPost s.d.), et Connectas, une plateforme de média qui se penche sur les questions de développement dans les Amériques (Connectas s.d.), estime que « plus de » 1 000 enlèvements ont été commis en 2020 (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]).
Des sources signalent que les groupes criminels demandent des rançons « exorbitantes » (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]) ou [traduction] « lucratives » aux familles de victimes (Reuters 19 mai 2021). Selon des sources, les victimes peuvent retrouver leur liberté si leur famille paye les ravisseurs (É.-U. 29 avr. 2020; Reuters 19 mai 2021) dans la [traduction] « plupart des cas » (É.-U. 29 avr. 2020). AyiboPost et Connectas soulignent que les ravisseurs menacent de tuer les victimes si leur famille rapporte l'enlèvement à la police ou à la presse ou essaie de ne pas payer la rançon, et rapporte le cas d'une écolière enlevée retrouvée morte en octobre 2020 (AyiboPost et Connectas [févr. 2021])]. Selon Djems Olivier, un sociologue cité par AyiboPost et Connectas,
l'augmentation des kidnappings est due à la facilité avec laquelle l'argent est collecté. « Jusqu'à récemment, les gens étaient agressés lorsqu'ils revenaient de la banque. Mais ces actes ont beaucoup baissé. Les bandits pensent à d'autres stratégies et les enlèvements font gagner de l'argent plus rapidement. Il existe des groupes spécialisés dans les enlèvements, mais il y a de plus en plus de petits groupes armés qui le font aussi, parce que c'est lucratif » (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]).
2.1 Personnes ciblées
Des sources rapportent que la vague d'enlèvements a fait des victimes parmi différents groupes sociaux [tels que des médecins, étudiants, commerçants et policiers (AyiboPost et Connectas [févr. 2021])] [ainsi que les pauvres et les membres de la classe moyenne (Reuters 26 avr. 2021)] (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]; Reuters 26 avr. 2021). D'autres sources soulignent des cas d'enlèvements impliquant des enfants (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]; Nations Unies mars 2021, 82; Reuters 26 avr. 2021). Selon certaines sources, les enlèvements affectent [[traduction] « de façon disproportionnée » (Freedom House 3 mars 2021, sect. F3)] les femmes et les filles (Freedom House 3 mars 2021, sect. F3; Nations Unies mars 2021, 80).
3. Principaux groupes criminels
Des sources estiment qu'il y avait en Haïti 76 gangs armés en mai 2019 (Le Nouvelliste 6 mai 2019), [traduction] « plus de » 150 groupes criminels en 2020 (É.-U. 30 mars 2021, 4) et 177 groupes actifs en mars 2021 (Olivier 18 mars 2021, 85). Parmi les sources qu'elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n'a pas trouvé les noms des principaux groupes criminels.
Selon le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), une ONG haïtienne engagée dans l'éducation en matière des droits de la personne et la surveillance de ses violations (RNDDH s.d.), en mai 2020 de nouveaux chefs de groupes criminels ont été installés dans divers quartiers à Port-au-Prince « fraîchement conquis » par Serge Alectis, alias Ti Junior, qui contrôle les quartiers de la Croix-des-Bossales et de La Saline, Micanor Altes (ou Monel Felix), alias Roi Mikanó à Wharf Jérémie, et Jimmy Cherizier, alias Barbecue, qui contrôle Delmas 6 :
- Garry Lyron (alias Coby), chef à Chancerelles
- Ronald Alcide (alias Depòte) à Nan Tokyo
- Daniel (alias Tapajè) à Delmas 2
- Colson Jean à Nan Barozi
- Richardson Louis à la tête du gang dénommé G-8, opérant au haut de Delmas 4
- Josué au bas de Delmas 4
- Mackenson Louis à la tête du gang de Village de la paix
- Ti Jude à la tête du gang de Fort Dimanche
- Jean Gardy Alectis (alias Dyòl) à Nan Bwadòm (RNDDH 23 juin 2020, paragr. 77).
Selon un rapport publié par la Clinique internationale de défense des droits humains (International Human Rights Clinic - IHRC) et l'Observatoire haïtien des crimes contre l'humanité (OHCCH) [1], parmi les acteurs impliqués dans des attaques meurtrières à La Saline en 2018, à Bel-Air en 2019 et à Cité Soleil à Port-au-Prince en 2020 [voir la section 3.1 de la présente réponse], on compte notamment Serge Alectis, Jimmy Cherizier, le gang de Delmas 6, le gang de Nan Bwadòm et le gang de Wharf Jérémie (IHRC et OHCCH avr. 2021, 19).
D'après des sources, à la suite d'une mobilisation de policiers insatisfaits au sein de la PNH qui ont organisé des manifestations pour revendiquer de meilleures conditions de travail, un nouveau groupe armé composé de policiers en fonction ou révoqués a émergé [en 2018 (Insight Crime 26 mars 2021) ou en février 2020 (Nations Unies mars 2021, 32)], surnommé Fantom [Fantôme] 509 (Insight Crime 26 mars 2021; Nations Unies mars 2021, 32). Des sources soulignent que des membres du groupe portent parfois leur uniforme de policier durant la commission de crimes (HaïtiLibre 24 mars 2021; InSight Crime 26 mars 2021).
3.1 Activités
Selon l'ACLED, les activités perpétrées par des groupes criminels incluent des affrontements violents entre groupes rivaux (ACLED févr. 2021, 15). La même source ajoute que ces attaques ont aussi mené à une augmentation du nombre d'enlèvements pour rançon et de viols qui font partie des [traduction] « armes de guerre » utilisées par des groupes criminels pour s'assurer de « l'allégeance » des habitants (ACLED févr. 2021, 15). Selon un rapport sur l'exécution du mandat du BINUH paru en juin 2020, l'augmentation des enlèvements en février 2020 « pourrait » être due à un besoin de nouvelles sources de revenus depuis la fin des manifestations de 2019 (Nations Unies 15 juin 2020, paragr. 11). Selon plusieurs sources, des assassinats et des enlèvements ciblés contre des personnalités publiques ont aussi fait partie de l'arsenal des groupes criminels [dont 17 attaques ciblées ont été recensées par l'ACLED en 2020 (ACLED févr. 2021, 15)], incluant l'assassinat du bâtonnier Monferrier Dorval en 2020 (ACLED févr. 2021, 15; É.-U. 30 mars 2021, 3; Nations Unies mars 2021, 24).
Des sources signalent que des gangs ont mené des attaques du 4 au 6 novembre 2019 dans le quartier de Bel-Air, causant trois (Nations Unies févr. 2020, 4) ou quatre décès (FJKL 29 nov. 2019, 11) et l'incendie d'une trentaine de résidences (Nations Unies févr. 2020, 4; FJKL 29 nov. 2019, 2, 11). Selon les mêmes sources, les gangs seraient intervenus sous l'instigation de Jimmy Cherizier afin d'amener les manifestants s'opposant au gouvernement Moïse à retirer leurs barricades dans la rue (Nations Unies févr. 2020, 10; FJKL 29 nov. 2019, 3).
Dans son 2020 Crime and Safety Report, le Conseil consultatif de sécurité outre-mer (Overseas Security Advisory Council – OSAC) des États-Unis souligne que des groupes criminels érigent des barricades sur les autoroutes afin d'extorquer les conducteurs (É.-U. 29 avr. 2020).
Selon des sources, le groupe Fantom 509 [qui fait notamment du vandalisme et du pillage de biens appartenant à des citoyens (FJKL 21 mars 2021, 1)] a mis à feu un commissariat de police à Delmas à la mi-mars 2021, ce qui a résulté dans la libération de quatre collègues policiers emprisonnés (FJKL 21 mars 2021, 1; HaïtiLibre 18 mars 2021).
3.2 Cibles
L'ACLED souligne que des membres de la population sont [traduction] « souvent » pris comme cible par les gangs (ACLED févr. 2021, 15). Des sources soulignent que des fonctionnaires (ACLED févr. 2021, 15; É.-U. 30 mars 2021, 3), des juges, des avocats et des militants peuvent aussi être ciblés (ACLED févr. 2021, 15).
Des sources rapportent une hausse de cas d'enfants qui se trouvent dans la ligne de tir des activités de groupes criminels (HaïtiLibre 15 avr. 2021; Miami Herald 13 avr. 2021; Nation Unies 15 avr. 2021). Par exemple, selon des sources, lors de la nuit du 11 au 12 avril 2021, un groupe criminel composé de plus de 15 individus a attaqué un orphelinat dans le quartier Croix-des-Bouquets en banlieue de Port-au-Prince [où avait eu lieu moins de deux mois plus tôt une évasion de 400 prisonniers (Insight Crime 8 mars 2021; Miami Herald 13 avr. 2021)], a battu les dirigeants et a violé deux enfants et une adulte (HaïtiLibre 15 avr. 2021; Miami Herald 13 avr. 2021). Selon l'UNICEF, 73 femmes et enfants ont été victimes des gangs entre le dernier trimestre de l'année 2020 et la mi-avril 2021 :
[traduction]
« Les enfants et les femmes d'Haïti ne sont plus seulement les victimes des gangs criminels, ils deviennent de plus en plus leurs cibles », prévient Jean Gough, directrice régionale de l'UNICEF pour l'Amérique latine et les Caraïbes. « Qu'il s'agisse d'enlèvements, de viols ou même de meurtres, de plus en plus d'incidents de violence de gangs ont impliqué des enfants et des femmes au cours des dernières semaines et des derniers mois. Cette récente recrudescence alimente l'insécurité dans ce pays appauvri » (Nations Unies 15 avr. 2021).
Pour obtenir des renseignements sur la violence fondée sur le genre et la violence sexuelle en Haïti, y compris de la part des groupes criminels, veuillez consulter la réponse à la demande d'information HTI200653 publiée en juin 2021.
3.3 Zones d'influences
Des sources rapportent que des groupes criminels contrôlent plusieurs quartiers [[traduction] « pauvres » (ACLED févr. 2021, 14)] de Port-au-Prince (ACLED févr. 2021, 14; É.-U. 29 avr. 2020). Selon des sources, parmi les quartiers qui sont sous l'emprise des groupes criminels, on retrouve notamment ceux de Martissant, Bel-Air (É.-U. 29 avr. 2020; Nations Unies 11 févr. 2021, paragr. 18), Cité Soleil (É.-U. 29 avr. 2020) et Village de Dieu (Nations Unies 11 févr. 2021, paragr. 18). Selon un rapport sur l'exécution du mandat du BINUH paru en septembre 2020, les zones d'influence de certains groupes criminels correspondent aux « zones populeuses où se concentrent quelques grands marchés publics et d'importants bureaux de vote » (Nations Unies 25 sept. 2020, paragr. 15).
D'autres sources signalent la présence de groupes criminels à l'extérieur de Port-au-Prince, [tel qu'au département du Sud-Est (ACLED févr. 2021, 14)] [ou encore à Pétionville et le long des autoroutes (É.-U. 29 avr. 2020)] (ACLED févr. 2021, 14; É.-U. 29 avr. 2020). Le rapport sur l'exécution du mandat du BINUH publié en février 2021 signale que depuis la fin 2020, à la suite d'opérations policières, des groupes criminels ont été repoussés vers les périphéries ou à l'extérieur de Port-au-Prince, notamment « dans certaines parties du département de l'Artibonite où les bandes étaient à l'origine de nouvelles menaces pour la sécurité » (Nations Unies 11 févr. 2021, paragr. 18). Selon le rapport sur l'exécution du mandat du BINUH publié en septembre 2020, les affrontements entre groupes criminels ont connu une augmentation, entre juin et août 2020, au Cap-Haïtien (département du Nord) et à Petite-Rivière-de-l'Artibonite (département de l'Artibonite) entre autres régions, affectant la circulation routière (Nations Unies 25 sept. 2020, paragr. 18).
3.4 Liens entre les groupes criminels et les autorités
Des sources rapportent que l'emploi de groupes criminels par des acteurs politiques à des fins de répression d'opposants et de manifestants dans de quartiers rivaux fait partie du déroulement des campagnes électorales en Haïti (ACLED févr. 2021, 14; Freedom House 3 mars 2021, sect. B3). Selon certaines sources, en échange, les groupes criminels se voient garantir l'impunité ainsi que de ressources sous forme d'armes (ACLED févr. 2021, 14; RNDDH 23 juin 2020, paragr. 98-99) et de financement (ACLED févr. 2021, 14). Un rapport publié en février 2020 sur l'exécution du mandat du BINUH fait état des attaques contre le quartier de Bel-Air en novembre 2019 dans le cadre desquelles, selon « [c]ertaines sources », « un représentant des autorités » aurait demandé à cinq organisations criminelles d'intervenir; ces dernières auraient refusé (Nations Unies févr. 2020, 10). Toutefois, la même source ajoute qu'une intervention menée par Jimmy Cherizier quelques jours après « amène à considérer l'existence d'un lien entre la démarche du représentant étatique auprès des organisations locales et les actes perpétrés par Cherizier et les gangs sous son contrôle » (Nations Unies févr. 2020, 10). Des sources rapportent l'existence de liens entre le gouvernement Moïse et les groupes criminels (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]; RNDDH 23 juin 2020, paragr. 98). Selon le RNDDH, les gangs armés « bénéficient, pour la plupart, de la protection de l'institution policière » (RNDDH 23 juin 2020, paragr. 98).
4. G9
Des sources rapportent que neuf groupes criminels à Port-au-Prince se sont réunis pour fonder une coalition appelée le G9 (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]; RNDDH 23 juin 2020, paragr. 78-79) ou G9 an famni e alye (en famille et en alliés) en juin 2020 (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]). Selon des sources, le leader est l'ancien policier de la PNH, Jimmy Cherizier (ACLED févr. 2021, 14; AyiboPost et Connectas [févr. 2021]; Nations Unies 25 sept. 2020, paragr. 16). Dans un rapport du RNDDH, on énumère les groupes constituants suivants :
- Jimmy CHERISIER Alias Barbecue – Delmas 6
- Iscar ANDRICE Cité Soleil – Belekou
- Christ-Roi CHERY alias Chrisla – Nan Tibwa
- Serge ALECTIS alias Ti junior – La Saline
- Wilson PIERRE alias Sonson Rue St Martin – Bel-[A]ir
- Micanor ALTES connu encore sous le nom de Monel FELIX alias Roi Mikanò – Wharf Jérémie
- Jouma ALBERT alias Zouma – Simon Pelé
- Ezéckiel ALEXANDRE – Base Pilate
- Matias SAINTIL – Nan Boston / Cité Soleil
[…] Ces neuf (9) chefs de gangs armés sont secondés par un groupe de vingt (20) autres gangs de moindre importance sur les plans organisationnel et territorial. Leurs chefs sont dénommés têtes de pont ou membres du G-20 (RNDDH 23 juin 2020, paragr. 79-80, mise en évidence dans l'original).
Le rapport sur l'exécution du mandat du BINUH paru en septembre 2020 rapporte que le G9 prétend avoir des revendications sociales pour contrer la pauvreté dans les quartiers les plus précaires de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, et que six autres groupes se sont joints à la coalition (Nations Unies 25 sept. 2020, paragr. 15-16). Diverses sources signalent que le regroupement mène des attaques contre la population (Nations Unies 25 sept. 2020, paragr. 31; The Washington Post 14 août 2020). Selon le Washington Post, le groupe a également fait des détournements de camions-citernes, de l'extorsion d'entreprises et des enlèvements pour rançons (The Washington Post 14 août 2020).
4.1 Zones d'influence
Selon le RNDDH, les zones d'influence du G9 se concentrent dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, et incluent les quartiers suivants : Delmas 6, Belekou, Nan Tibwa, La Saline, Bel-Air, Wharf Jérémie, Simon Pelé, Base Pilate et Nan Boston à Cité Soleil (RNDDH 23 juin 2020, paragr. 79). Le rapport sur l'exécution du mandat du BINUH paru en septembre 2020 constate également que le G9 contrôle Cité Soleil, La Saline et le bas de Delmas (Nations Unies 25 sept. 2020, paragr. 15).
4.2 Liens entre le G9 et les autorités
Des sources rapportent que le bras armé de l'administration du président Moïse est le G9 (ACLED févr. 2021, 16) ou Jimmy Cherizier (RNDDH 23 juin 2020, paragr. 81). Selon AyiboPost et Connectas,
[l]a création du G9 a été soutenue par la [CNDDR], créée en 2006 et réactivée par Moïse en 2019. Jean Rebel Dorcenat, l'un des membres de cette commission, a déclaré dans une émission radio qu'il avait suggéré que les gangs se regroupent. Selon lui, cela a facilité les choses pour le CNDDR, qui n'aurait qu'un seul interlocuteur. Cette nouvelle fédération de gangs apporterait la paix après plusieurs massacres dans les quartiers populaires, attribués aux gangs armés de Port-au-Prince (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]).
Selon des sources, le G9 cherche à consolider l'appui électoral pour l'administration Moïse dans des quartiers perçus comme soutenant l'opposition (ACLED févr. 2021, 14; The Washington Post 14 août 2020). D'après des sources, le G9 participe à des prises de décisions politiques, telles que des nominations (CARDH 22 juill. 2020, paragr. 5) ou des destitutions (RNDDH 23 juin 2020, paragr. 84). Selon le RNDDH,
[d]e nombreux agents faisant partie d'unités spécialisées de la PNH dont l'Unité de Sécurité Générale du Palais National (USGPN), l'Unité Départementale pour le Maintien de l'Ordre (UDMO), la Brigade d'Opération et d'Intervention Départementale (BOID) et le Corps d'Intervention pour le Maintien de l'Ordre (CIMO) ont prêté serment d'allégeance à Jimmy CHERIZIER alias Barbecue. Ils touchent des sommes exorbitantes pour services rendus.
[…] L'Inspection Générale de la PNH, très laxiste, ferme les yeux sur les nombreuses dérives des policiers qui protègent les gangs armés et entretiennent de bons rapports avec Jimmy CHERIZIER alias Barbecue. A titre d'exemple, le 1er avril 2020, alors que l'institution policière affirme être à la recherche de Jimmy CHERIZIER alias Barbecue, elle passe des instructions pour que celui-ci participe à une distribution de nourriture […] (RNDDH 23 juin 2020, paragr. 99-100, mise en évidence dans l'original).
Certaines sources rapportent que le G9 manifeste ouvertement dans les rues de Port-au-Prince, comme en juillet 2020 (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]) [ou en juin 2020 (The Washington Post 14 août 2020)] pour demander une reconnaissance légale auprès de l'État (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]). Selon un reportage de Reuters, Jimmy Cherizier a organisé une manifestation en mars 2021 en faveur de l'administration Moïse (Reuters 19 mai 2021). Des sources signalent que Jovenel Moïse a affirmé ne pas entretenir de liens avec des gangs (The Washington Post 14 août 2020; Reuters 19 mai 2021).
5. Protection offerte par l'État
Selon des sources, les gangs criminels jouissent de l'impunité (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]; HRW 13 janv. 2021). Un rapport sur la mise en œuvre du BINUH signale l'arrestation, entre juin et septembre 2020, de 51 membres de gangs et de 53 personnes soupçonnées d'avoir commis des enlèvements (Nations Unies 25 sept. 2020, paragr. 17). Un autre rapport sur l'exécution du mandat du BINUH souligne l'arrestation de 169 membres de gangs en janvier et février 2020 et 232 en mars et avril de la même année (Nations Unies 15 juin 2020, paragr. 12). Le rapport sur l'exécution du mandat du BINUH paru en février 2021 souligne que des enquêtes internes sont menées à propos de 70 agents soupçonnés de faire partie de Fantom 509 (Nations Unies 11 févr. 2021, paragr. 27). Parmi les sources qu'elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n'a trouvé aucune information indiquant si des accusations ont été déposées contre les personnes arrêtées ou sous enquête.
Un article de Reuters signale que le président Jovenel Moïse a affirmé en avril 2021 que la lutte contre l'insécurité a été [traduction] « "inefficace" » (Reuters 26 avr. 2021). Selon AyiboPost et Connectas, bien que des opérations policières ont été lancées contre les groupes criminels à la fin de 2020, « la stratégie ne semble pas fonctionner. Le 20 janvier [2021], des écoliers ont été enlevés dans la ville de Carrefour, à environ 10 km de Port-au-Prince et à quelques mètres des quartiers du Grand Ravine et de Martissant, contrôlés par le G9 » (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]).
5.1 PNH
Des sources soulignent que la PNH manque de ressources et de personnel (Nations Unies 25 sept. 2020, paragr. 26; IHRC et OHCCH avr. 2021, 10; Reuters 19 mai 2021). Un rapport sur l'exécution du mandat du BINUH signale cependant qu'afin de lutter contre les gangs, le budget de la PNH a été « considérablement » augmenté en septembre 2020 pour la première fois depuis 2007 (Nations Unies 11 févr. 2021, paragr. 17). D'autres sources signalent que la PNH manque également de légitimité auprès de la population haïtienne (ACLED févr. 2021, 15; Nations Unies 25 sept. 2020, paragr. 26; Reuters 19 mai 2021). Cependant, le 2020 Crime and Safety Report de l'OSAC des États-Unis signale que la population accorde [traduction] « un plus haut degré de confiance » à la PNH qu'aux autres organisations gouvernementales (É.-U. 29 avr. 2020). Selon diverses sources, la PNH est soupçonnée de collusion avec les groupes criminels (IHRC et OHCCH avr. 2021, 10; Reuters 19 mai 2021; RNDDH 23 juin 2020, paragr. 99-100). Le rapport sur l'exécution du mandat du BINUH paru en février 2021 souligne des violations des droits de la personne commises par des membres des forces de l'ordre :
Du 1er septembre 2020 au 31 janvier 2021, la BINUH a constaté 81 violations des droits humains commises par des agents de la [PNH], qui ont fait 12 morts (dont 1 fille) et 25 blessés (dont 2 femmes) […] L'Inspection générale de la Police nationale d'Haïti (IGPNH) a ouvert 122 enquêtes sur des fautes qui auraient été commises par des policiers, dont 22 ont été clôturées depuis. Sur ce nombre, 16 ont abouti à des sanctions administratives, dont 4 qui ont été transmises aux autorités judiciaires. En outre, l'Inspection générale a enquêté sur 68 autres violations liées à des fait[s] intervenus avant la période considérée. Dans 14 cas, elle a recommandé des sanctions. Seules deux de ces affaires ont été transmises aux autorités judiciaires […] (Nations Unies 11 févr. 2021, paragr. 34).
En l'absence de confiance populaire à l'égard de la police, la même source rapporte des cas de justice populaire tels que des lynchages, dont 20 cas impunis entre le 1er septembre 2020 et le 31 janvier 2021 ont été recensés (Nations Unies 11 févr. 2021, paragr. 34).
En mars 2021, le président a modifié la loi sur l'état d'urgence pour assurer la sécurité nationale et a habileté le gouvernement à prendre « toutes mesures jugées utiles » (Le Nouvelliste 17 mars 2021) ou les « autorités compétentes de mobiliser tout support extérieur, nécessaire » (AlterPresse 17 mars 2021).
5.2 Agence nationale d'intelligence (ANI)
Des sources rapportent qu'en novembre 2020 le président Moïse a créé par décret présidentiel l'ANI, chargée de contrer le terrorisme (CEPR 14 déc. 2020; Freedom House 3 mars 2021, sect. F2). Selon les mêmes sources, un autre décret incluait l'élargissement de la définition de l'acte de « terrorisme » (CEPR 14 déc. 2020; Freedom House 3 mars 2021, sect. F2), notamment pour y inclure l'extorsion et le blocage de la circulation routière via l'érection de barricades, pratique courante des manifestants (CEPR 14 déc. 2020). Le rapport d'AyiboPost et Connectas signale que les membres l'ANI « ne répondent qu'au président » (AyiboPost et Connectas [févr. 2021]). Freedom House signale que, d'après des groupes de défense des droits de la personne, les décrets
[traduction]
menacent les libertés civiles des habitants et l'État de droit. De plus, les décrets autorisent l'ANI à bénéficier du secret total et à mener de la surveillance à tout moment, même sans enquête pertinente en cours. Les membres du personnel de l'ANI seront recrutés parmi la [PNH] et l'armée, et ne pourront faire l'objet d'une procédure judiciaire sans l'autorisation préalable du président (Freedom House 3 mars 2021, sect. F2).
5.3 Appareil judiciaire
Selon des sources, le système judiciaire haïtien est vulnérable à l'influence des pouvoirs exécutifs et législatifs (É.-U. 30 mars 2021, 8-9; Freedom House 3 mars 2021, sect. F1). Des sources signalent que la police a arrêté 18 (FJKL 8 févr. 2021, 2-3) ou 23 (Le Nouvelliste 9 févr. 2021) individus le 7 février 2021, dont un juge à la Cour suprême (ou Cour de cassation) (FJKL 8 févr. 2021, 2-3; Le Nouvelliste 9 févr. 2021), suivi par la mise à la retraite de force de trois autres juges de la Cour suprême le lendemain par l'administration Moïse (Le Nouvelliste 9 févr. 2021).
De sources soulignent le système judiciaire manque aussi de surveillance (É.-U. 30 mars 2021, 8-9; Freedom House 3 mars 2021, sect. F1) et que [traduction] « la plupart » des agents corrompus ne sont pas tenus responsables (Freedom House 3 mars 2021, sect. F1). Selon le rapport sur l'exécution du mandat du BINUH paru en février 2021, le système judiciaire connaît des grèves intermittentes, des délais dans les procédures judiciaires, ainsi que des retards dans la mise en œuvre de projets tels que « l'ouverture de 11 bureaux d'aide juridictionnelle décentralisés […] fournissant gratuitement des services d'avocat aux segments les plus vulnérables de la population » (Nations Unies 11 févr. 2021, paragr. 28-29, 36).
5.4 Centres de détention
Selon Freedom House, le taux de détention provisoire est 78 p. 100 de l'ensemble de la population incarcérée en 2020 (Freedom House 3 mars 2021, sect. F2). Le rapport sur l'exécution du mandat du BINUH paru en février 2021 signale que les prisons haïtiennes ont un taux d'occupation de 315 p. 100 (Nations Unies 11 févr. 2021, paragr. 24). Selon les Country Reports on Human Rights Practices for 2020 publiés par le Département d'État des États-Unis, les détenus souffrent de malnutrition et, dans certaines prisons, ils ont un espace de 8,6 pieds carrés et dans [traduction] « de nombreuses » prisons, en raison du manque d'espace, ils dorment en alternance (É.-U. 30 mars 2021, 4-5).
5.4.1 Évasion de Croix-des-Bouquets
Selon des sources, une évasion a eu lieu en février 2021 dans la banlieue de Croix-des-Bouquets à Port-au-Prince au cours de laquelle 25 personnes ont perdu la vie, et 400 prisonniers se sont évadés (AFP 10 mars 2021; InSight Crime 8 mars 2021). D'après des sources, des observateurs croient que l'évasion avait été planifiée avec la complicité d'autorités (AFP 10 mars 2021; InSight Crime 8 mars 2021), et qu'elle avait pour but la libération du chef de groupe criminel Arnel Joseph, qui a été tué par la police le lendemain de l'évasion (InSight Crime 8 mars 2021). Les mêmes sources soulignent que 59 ou 87 évadés ont été repris par les forces de l'ordre (AFP 10 mars 2021), ou que la moitié d'entre eux ont été repris (InSight Crime 8 mars 2021).
Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l'aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais fixés. Cette réponse n'apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d'une demande d'asile. Veuillez trouver ci-dessous les sources consultées pour la réponse à cette demande d'information.
Note
[1] La Clinique internationale de défense des droits humains (International Human Rights Clinic - IHRC) de la Faculté de droit de l'Université Harvard « vise à protéger et à promouvoir les droits humains et le droit international humanitaire », et l'Observatoire haïtien des crimes contre l'humanité (OHCCH) est « un consortium d'organisations de la société civile haïtiennes et de personnalités importantes […] investies de la mission de surveiller les violations de droits humains commises en Haïti » (IHRC et OHCCH avr. 2021, 2).
Références
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The Washington Post. 14 août 2020. Ingrid Arnesen et Anthony Faiola. « In Haiti, Coronavirus and a Man Named Barbecue Test the Rule of Law ». [Date de consultation : 14 mai 2021]
Autres sources consultées
Sources orales : Défenseurs plus; Plateforme des organisations haïtiennes des droits humains; professeure adjointe en travail social à une université aux États-Unis qui a vécu et enseigné en Haïti; professeur titulaire à une université au Canada dont la recherche porte sur la sécurité, les conflits, et les institutions d'états fragiles, notamment en Haïti; Security Governance Group.
Sites Internet, y compris : ACAPS; Amnesty International; Center for Strategic and International Studies; Défenseurs plus; Haïti – ministère de la Justice et de la Sécurité publique, Police nationale d'Haïti; The Haitian Times; Médecins sans frontières; Nations Unies – Refworld; Reporters sans frontières; Transparency International.