L'appréciation de la preuve - Chapitre 2 : Principes généraux

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2. Principes généraux

2.1 La preuve

La « preuve » englobe tous les moyens permettant de démontrer la véracité ou la fausseté des faits en cause (témoignage de vive voix, documents officiels, démonstration, etc.). La preuve ne comprend pas les arguments qui sont présentés au nom des parties (et qui sont parfois appelés « observations ») afin de convaincre le décideur d'adopter un certain point de vue quant aux éléments de preuve produitsNote de bas de page 2.

2.2 Règles légales et techniques de présentation de la preuve

Lorsqu'ils évaluent la preuve, les décideurs doivent garder à l'esprit que la Commission n'est pas un tribunal judiciaire, mais un tribunal administratif qui n'est pas lié par des règles légales ou techniques de présentation de la preuveNote de bas de page 3.

Les règles de présentation de la preuve découlent de la jurisprudence et sont appliquées par les tribunaux pour s'assurer que la preuve sur laquelle un tribunal se fonde pour rendre une décision reçoive le poids qui mérite de lui être attribué. Ces règles peuvent entraîner le refus d'admettre certains éléments de preuve dans le dossier du tribunal. Certaines règles de présentation de la preuve et leurs justifications sont énoncées à l'Annexe A du présent document.

Puisque la Commission n'est pas liée par les règles de présentation de la preuve, elle peut admettre des éléments de preuve qui ne seraient pas admissibles devant un tribunal judiciaire. Elle peut néanmoins tenir compte des justifications à ces règles pour apprécier le poids de la preuve. Il est possible que plusieurs règles soient pertinentes pour un élément de preuve particulier.

Toutefois, la Commission commet une erreur de droit si elle n'accorde aucun poids à un document simplement parce que son contenu n'a pas été prouvé conformément aux règles de présentation de la preuveNote de bas de page 4.

2.3 Éléments de preuve crédibles ou dignes de foi

La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) prévoit que la Commission peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décisionNote de bas de page 5. Les tribunaux ont accordé aux termes « crédible » et « digne de foi » le même sensNote de bas de page 6, c'est-à-dire la crédibilité d'un élément de preuveNote de bas de page 7. Aux fins du présent document, la crédibilité englobe à la fois la véracité (c.-à-d. l'honnêteté d'un témoin) et la fiabilité (c.-à-d. la question de savoir, en supposant que le témoin est honnête, si la preuve fournit un compte rendu exact des faits importants)Note de bas de page 8. Pour un examen détaillé des principes et de la jurisprudence en matière de crédibilité, se reporter au document des Services juridiques intitulé Évaluation de la crédibilité lors de l'examen des demandes d'asile.

Le libellé des dispositions pertinentes de la LIPR tend à appuyer la position selon laquelle la Commission ne devrait pas recevoir ou admettre des éléments de preuve à moins qu'ils ne soient jugés crédibles ou dignes de foi. Toutefois, cela ne reflète pas la pratique habituelle à la SI, à la SAI ou à la SPR. Deux raisons peuvent expliquer cela. Une fois des éléments de preuve exclus, il est difficile de les admettre par la suite. Il est beaucoup plus simple d'admettre un élément de preuve et de ne lui accorder aucun poids par la suite, si cela est justifié. De plus, il est préférable d'évaluer la crédibilité d'un élément de preuve en fonction de l'ensemble de la preuve présentée. Les décisions en matière de crédibilité ne sont pas toujours faciles à rendre et exigent souvent une réflexion et une analyse minutieuses. Le processus d'audience deviendrait très lent et fastidieux si une décision quant à la crédibilité devait être rendue chaque fois qu'un élément de preuve était présenté. Il peut néanmoins y avoir des cas où la preuve ne devrait pas être admise du tout, par exemple lorsque l'effet préjudiciable de la preuve l'emporte de loin sur sa valeur probante.

Toutefois, cela ne s'applique pas à la SAR, où chaque nouvel élément de preuve présenté par une personne en cause doit être évalué pour en déterminer l'admissibilité. La recevabilité est déterminée par l'application des critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR. Si l'un de ces critères est satisfait, il faut évaluer l'élément de preuve en fonction de sa nouveauté, de sa pertinence et de sa crédibilité; il n'est admissible que si ces trois critères sont satisfaitsNote de bas de page 9. Une fois admis, l'élément de preuve est apprécié par rapport aux autres éléments de preuve au dossier d'appel.

2.4 Ce que signifie apprécier les éléments de preuve

Ce ne sont pas tous les éléments de preuve qui aident un décideur à tirer des conclusions; chaque élément doit être apprécié. Pour les besoins du présent document, « apprécier » un élément de preuve signifie évaluer sa crédibilité et sa valeur probante. Dans l'affaire MagonzaNote de bas de page 10, le juge Grammond de la Cour fédérale a écrit que le poids de la preuve peut être exprimé à l'aide de l'équation suivante :

poids = (crédibilité) x (valeur probante)

La valeur probante concerne la capacité qu'a la preuve d'établir le fait que l'on cherche à prouver (autrement dit, à quel degré l'information présentée est utile pour répondre à la question qui doit être tranchéeNote de bas de page 11).

Il ne faut pas confondre le poids de la preuve avec la suffisance de la preuve. L'ensemble de la preuve lié à un fait en litige est jugé « suffisant » s'il justifie, par son poids cumulatif, la conclusion selon laquelle ce fait existe bel et bien. Décider si la preuve est suffisante est un jugement pratique qui doit être établi au cas par cas. C'est une question à l'égard de laquelle le contrôle judiciaire doit faire preuve d'une grande retenueNote de bas de page 12.

Il est important de se rappeler que chaque élément de preuve doit être apprécié en tenant compte de l'ensemble de la preuve au dossier et des questions à trancher. Le poids accordé peut varier d'un élément de preuve à l'autre. Certains éléments peuvent aussi ne se voir accorder aucun poids.

En fin de compte, le poids des divers éléments de preuve sert à déterminer si les parties se sont acquittées du fardeau de la preuve relativement aux définitions de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger, ou encore aux dispositions pertinentes de la LIPR ou du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiésNote de bas de page 13 (Règlement). En ce qui concerne la détermination du statut de réfugié, les décideurs devraient garder à l'esprit que les éléments de preuve qui ne sont peut-être pas probants en ce qui concerne un motif de protection (et auxquels, par conséquent, ils devraient accorder peu de poids pour tirer une conclusion sur ce motif particulier) peuvent être probants pour d'autres motifs.

2.5 Facteurs à prendre en compte dans l'appréciation des éléments de preuve

Le poids à accorder à la preuve doit être déterminé à la lumière de l'ensemble des circonstances et des éléments de preuve d'une affaire particulière. Les facteurs à prendre en considération dans l'appréciation de la preuve reposent en grande partie sur le bon sens.

Les facteurs suivants peuvent généralement être pris en considération par les décideurs dans leur appréciation de la preuve (il convient de noter que les facteurs énumérés ici et ailleurs dans le présent document ne constituent pas une liste exhaustive et ils ne sont pas non plus obligatoires) :

  • les circonstances de la déclaration;
  • toute information sur la personne qui a fait une déclaration;
  • le nombre de fois où l'information a été transmise avant d'être communiquée au témoin;
  • la question de savoir si la preuve concorde avec d'autres éléments de preuve crédibles ou dignes de foi, y compris les témoignages de vive voix et la preuve documentaire;
  • la question de savoir si le témoin a observé les événements à propos desquels il a témoigné;
  • les circonstances entourant l'événement;
  • la question de savoir s'il existe une meilleure preuve disponible et si une raison a été donnée pour ne pas la produire?
  • la question de savoir si le témoin tire des inférences raisonnables ou ne fait qu'avancer des hypothèses?
  • la question de savoir si la preuve est intéressée;
  • les circonstances dans lesquelles un document a été créé;
  • la question de savoir si l'auteur d'un document présenté en preuve était disponible pour un contre-interrogatoire ou l'aurait été au besoin;
  • la question de savoir si certains autres éléments de preuve du témoin ont été jugés non crédibles;
  • la question de savoir si le témoin a un intérêt ou non dans l'issue de l'affaire;
  • la question de savoir si le témoin est partial;
  • les qualifications et les connaissances du témoin concernant le sujet de son témoignage;
  • l'attitude et le comportement du témoin;
  • la date d'un document.