Motifs et décision - Mumtaz Khan

​Date(s) de l’audience : S/O

Lieu de l’audience : Vancouver, (C.-B.) (En cabinet)

Date de la décision : 18 décembre 2020

Tribunal : Linda Taylor

Conseil de M. Khan : William Macintosh

Sur cette page

​Introduction

[1] ​Le 25 mars 2020, le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) m’a délégué, en tant que vice présidente adjointe de la Section d’appel de l’immigration, ses pouvoirs en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR)note de bas de page 1 de président et de chef judiciaire de la CISR afin de convoquer une procédure pour :

    [traduction]

  1. tirer des conclusions de fait relativement à la conduite de Mumtaz Khan dans le dossier no VB 01910 de la CISR;
  2. prendre toute mesure corrective qui me semble nécessaire afin de préserver et de protéger l’intégrité et l’efficacité des procédures de la CISR, y compris le fait d’interdire à M. Khan de représenter toute personne et de comparaître au nom de toute personne devant l’une ou l’autre des sections de la CISR.

[2] Voici les motifs de la décision que j’ai rendue relativement à la procédure convoquée en vertu de cette délégation de pouvoirs, ainsi qu’à la demande que M. Khan a présentée pendant la procédure.

Contexte

[3] M. Mumtaz Khan est un consultant en immigration enregistré au Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada (CRCIC) en tant que membre R413223.

[4] Le 30 septembre 2019, M. Khan a comparu devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la CISR pour représenter la demandeure d’asile dans le dossier no VB 01910 de la CISR. Il est mis en avant que, au cours de l’audience, M. Khan a tenté d’envoyer des messages textes à un témoin prévu qui attendait à l’extérieur de la salle d’audience, mais qu’il a par erreur envoyé les messages textes au Greffe de la SPR. Le Greffe a informé le président de l’audience de la SPR, qui a suspendu l’audience.

[5] Voici les messages textes reçus que le Greffe de la SPR a reçus de la part d’un [traduction] « Mumtaz Khan +16048395824 » :

[traduction]

13 h 35 Son époux est décédé en 2014

13 h 35 Et vous avez apporté l’affidavit

13 h 35 Pour l’avocat

13 h 37 Assurez-vous de dire que vous m’avez télécopié quelque chose provenant de lui

13 h 38 La télécopie n’était pas bonne, alors vous êtes de nouveau allé le voir, et vous me l’avez apportée quand votre dossier, il y a six semaines

13 h 38 *Il y a six semaines

Réponse du Greffe :

13 h 40 Bonjour, ici le préposé à la mise au rôle de la SPR, vous envoyez des messages textes au mauvais numéro

13 h 41 Merde

13 h 41 Vraiment

13 h 41 Désolé

Historique des procédures

[6] Comme il a été mentionné précédemment, le 25 mars 2020, le président de la CISR m’a délégué ses pouvoirs de convoquer une procédure.

[7] Le 17 avril 2020, j’ai rendu une ordonnance de confidentialité dans le cadre de la procédure afin de protéger l’identité de la demandeure d’asile dans le dossier no VB 01910 de la CISR et de toute personne associée à cette demande d’asile.

[8] Dans une lettre datée du 22 avril 2020, j’ai écrit à M. Khan, par courriel et par courrier recommandé de Postes Canada, pour l’informer qu’une procédure était convoquée relativement à sa conduite devant la SPR le 30 septembre 2019. Il lui a été demandé de répondre aux allégations suivantes :

[traduction]

Il est mis en avant que le 30 septembre 2019, alors que M. Khan comparaissait à titre de conseil de la demandeure d’asile à une audience devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) dans le dossier de statut de réfugié no VB 01910, il a tenté d’envoyer une série de messages textes à un témoin de la salle d’audience. Le témoin se trouvait à l’extérieur de la salle d’audience et attendait de témoigner à l’appui de la cause de la demandeure d’asile. Il est mis en avant que M. Khan a envoyé les messages textes dans une tentative de suborner le témoin en lui donnant des instructions ou en influençant son témoignage.

La lettre était accompagnée de copies de la délégation de pouvoirs du président, des allégations, du rapport de renvoi sur la conduite d’un conseil avec des captures d’écran des prétendus messages textes, d’une transcription caviardée de l’audience dans le dossier no VB 01910, pour supprimer les noms de la demandeure d’asile et du témoin, et de l’ordonnance de confidentialité.

[9] Dans cette lettre du 22 avril 2020, M. Khan s’est vu offrir deux voies procédurales afin de donner suite aux allégations :

Option 1 – Procéder entièrement par écrit

Option 2 – Audience avec observations

Il lui a été demandé de présenter des observations écrites en réponse aux allégations dans les 45 jours suivant le 22 avril 2020 s’il choisissait l’option 1 ou de faire savoir s’il choisissait l’option 2 dans les 20 jours suivant le 22 avril 2020.

[10] Le 12 mai 2020, M. Khan m’a envoyé un courriel pour accuser réception de la lettre et des pièces jointes du 22 avril 2020 et pour demander une prolongation du délai jusqu’au 20 juillet 2020 afin de retenir les services d’un conseil et de lui donner des instructions, puis de m’informer de sa décision concernant les deux options.

[11] Par courriel daté du 15 mai 2020, j’ai reporté au 10 juillet 2020 la date limite pour soumettre des observations écrites dans le cadre de l’option 1, et j’ai reporté au 15 juin 2020 la date limite pour que M. Khan fasse savoir s’il choisissait l’option 2.

[12] Le 9 juillet 2020, j’ai reçu par courriel une lettre du conseil de M. Khan, dont les services ont été retenus le 8 juillet 2020, demandant une autre prolongation du délai en fonction des mêmes périodes offertes dans ma lettre du 22 avril 2020, c’est-à-dire 45 jours pour la présentation d’observations écrites ou 20 jours suivant la date de la décision de report de l’examen pour communiquer l’intention de procéder de vive voix.

[13] Dans une lettre électronique datée du 17 juillet 2020, j’ai répondu à la demande du conseil de M. Khan. J’ai remarqué que la date limite du 15 juin 2020 pour choisir l’option 2 était passée sans aucune communication reçue de la part de M. Khan. Ce dernier n’a fourni aucun renseignement sur les efforts qu’il avait déployés, le cas échéant, pour retenir les services d’un conseil avant le 15 juin 2020 ni sur les circonstances qui l’avaient empêché de retenir les services d’un conseil avant le 15 juin 2020. M. Khan n’a pas demandé de prolongation supplémentaire avant l’échéance du 15 juin 2020. J’ai interprété son absence de réponse avant l’échéance du 15 juin 2020 pour choisir l’option 2 comme son choix d’aller de l’avant avec l’option 1. J’ai accordé une prolongation jusqu’au 10 août 2020 pour présenter des observations écrites dans le cadre de l’option 1.

[14] Le 11 août 2020, j’ai reçu par courriel du conseil de M. Khan une lettre demandant une prolongation supplémentaire pour mettre en état les observations. À l’appui de sa demande, le conseil a joint un aperçu de ses observations prévues et un billet du médecin.

[15] Le 17 août 2020, j’ai accordé une prolongation jusqu’au 31 août 2020 pour transmettre des observations écrites. J’ai demandé qu’elles comprennent :

  • toute observation écrite sur les allégations qui font l’objet de la procédure;
  • toute observation écrite que M. Khan souhaite présenter relativement aux arguments quant à la compétence;
  • toute observation écrite que M. Khan souhaitait présenter pour décider si la procédure devrait être disjointe afin de régler d’abord les questions liées à la compétence.

[16] Dans un courriel daté du 1er septembre 2020, le conseil de M. Khan a présenté une demande dans le cadre de la procédure en vue d’obtenir une ordonnance rejetant l’examen de conduite; ou une ordonnance pour qu’une décision soit rendue sur la compétence avant toute audience sur les éléments de fond; et, au besoin, une ordonnance pour qu’une audience soit tenue afin de déterminer les éléments de fond de la procédure. Aucune observation relativement aux allégations concernant la conduite de M. Khan n’était jointe.

Analyse

[17] M. Khan a soulevé de nombreux arguments à l’appui de sa position. J’ai regroupé les questions, et je vais les traiter comme suit :

  1. Compétence de convoquer la procédure et d’ordonner des recours
    1. La décision rendue dans l’affaire Rezaei c. Canada
    2. Le principe du stare decisis
      1. Y a-t-il eu un changement dans les circonstances ou dans la preuve qui change radicalement la donne?
        1. Les modifications législatives apportées à l’article 91 de la LIPR et la création du CRCIC ont elles une incidence sur la compétence de la CISR de convoquer une procédure disciplinaire étant donné que le CRCIC n’existait pas lorsque la décision Rezaei a été rendue?
        2. L’alinéa 161(1)b) de la LIPR a-t-il fondamentalement changé le débat?
      2. Une nouvelle question juridique a-t-elle été soulevée?
    3. Les recours peuvent-ils être étendus à plus d’une section de la CISR?
  2. Disjonction de la procédure
  3. Bien fondé des allégations

A. Compétence de convoquer la procédure et d’ordonner des recours

[18] M. Khan affirme qu’il n’y a pas d’autorité légale pour conduire cette procédure. Je ne suis pas d’accord, pour les raisons exposées ci après.

[19] La procédure est conduite en vertu des pouvoirs que le président de la CISR m’a délégués le 25 mars 2020. Il s’agit d’une délégation du pouvoir général du président de protéger l’intégrité des procédures de la CISR. Selon l’instrument de délégation, j’ai le pouvoir de tirer des conclusions de fait relativement à la conduite de M. Khan dans le dossier no VB 01910 de la CISR et de prendre toute mesure corrective qui me semble nécessaire afin de protéger l’intégrité et l’efficacité des procédures de la CISR, y compris le fait d’interdire à M. Khan de représenter toute personne et de comparaître au nom de toute personne devant l’une ou l’autre des sections de la CISR.

1. La décision rendue dans l’affaire Rezaei c. Canada

[20] La question de savoir si un vice président adjoint, à qui le président de la CISR a délégué les pouvoirs, a compétence pour examiner des doutes soulevés au sujet de la conduite d’un représentant devant la CISR et prendre des mesures correctives a été abordée dans l’affaire Rezaei c. Canada.note de bas de page 2 La Section de première instance de la Cour fédérale a conclu que le paragraphe 58(4) de l’ancienne Loi sur l’immigrationnote de bas de page 3 accordait au président le pouvoir de déléguer ses pouvoirs à un vice-président adjoint. De plus, la Cour a conclu que la CISR a le pouvoir de contrôler le déroulement de sa propre procédure afin d’en assurer l’intégrité et que, en l’absence de procédures précises établies par la loi ou le règlement, la CISR est habilitée (par l’intermédiaire du vice-président adjoint à qui les pouvoirs avaient été délégués par le président) à suspendre la comparution d’un agent ou d’un représentant devant la CISR au nom d’une autre personne.

[21] En ce qui concerne la question de la compétence, la Cour a fait référence dans l’affaire Rezaeinote de bas de page 4 à un principe général de compétence à l’égard des arbitres que le juge Sopinka a énoncé dans l’arrêt Prassad c. Canadanote de bas de page 5 :

Afin d’interpréter correctement des dispositions législatives susceptibles de sens différents, il faut les examiner en contexte. Nous traitons ici des pouvoirs d’un tribunal administratif à l’égard de sa procédure. En règle générale, ces tribunaux sont considérés maîtres chez eux. En l’absence de règles précises établies par loi ou règlement, ils fixent leur propre procédure à la condition de respecter les règles de l’équité et, dans l’exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de respecter les règles de justice naturelle. [Soulignement ajouté par le juge Beaudry.]

La Cour a interprété la déclaration du juge Sopinka de manière large comme incluant les examens de conduite ainsi que les demandes de report. Elle a déclaré que « restreindre la valeur jurisprudentielle de cet arrêt à ce seul point précis va à l’encontre de l’interprétation judiciaire large qui a été donnée à cette cause depuis le prononcé de l’arrêtnote de bas de page 6 » et a ajouté que « [l]e contexte de compétence dans lequel l’arrêt Prassad a été prononcé était simplement l’un de ceux envisagés par cet énoncé général du juge Sopinkanote de bas de page 7 ».

[22] Dans l’affaire Rezaei, la Cour a également fait observer que « […] nier à la CISR la compétence de protéger l’intégrité de ses processus desservirait ses intéressés. Ceux-ci sont non seulement les revendicateurs qui comparaissent devant la Commission et ses sections, mais également les membres de la population canadienne en général, qui a un intérêt dans l’efficacité des mécanismes d’application de la politique d’immigrationnote de bas de page 8. »

2. Le principe du stare decisis

[23] Le principe du stare decisis oblige généralement la CISR à suivre les conclusions juridiques de la Cour fédéralenote de bas de page 9 . La décision rendue dans l’affaire Rezaei n’a pas été annulée. Elle a été suivie dans plusieurs décisions de la CISR pour soutenir le pouvoir de la CISR de convoquer des procédures disciplinaires à l’égard d’un conseilnote de bas de page 10.

[24] Il semble que la Cour fédérale n’ait pas rendu de motifs concernant un examen analogue de la conduite d’un conseil, mais elle a mentionné l’affaire Rezaei dans trois décisions. Dans l’affaire Yari c. Canadanote de bas de page 11, la Cour fédérale, en concluant que la Section d’appel de l’immigration avait le pouvoir discrétionnaire de réglementer sa propre procédure lorsque ses règles sont muettes, a cité les déclarations du juge Beaudry dans l’affaire Rezaei selon lesquelles « [i]l va clairement de soi qu’un tribunal comme la CISR, ou l’une ou l’autre de ses sections constituantes, doive être en mesure de réglementer sa propre procédure. La Commission doit également réglementer le privilège de comparaître devant elle pour la représentation d’un revendicateurnote de bas de page 12. » Dans l’affaire Goltsberg c. Canadanote de bas de page 13, la Cour fédérale a cité l’affaire Rezaei pour faire valoir ce qui suit : « Il est bien établi en droit que la SPR est maîtresse de sa propre procédure. » Dans l’affaire Geza c. Canadanote de bas de page 14, la Cour fédérale s’est appuyée sur l’affaire Rezaeiet l’arrêt Prassad pour conclure que la CISR a une compétence implicite sur la procédure au moyen de laquelle elle s’acquitte de ses fonctions d’origine législative.

[25] De plus, mince est la différence entre les faits de l’affaire Rezaei et ceux de l’espèce, qui mettent tous deux en cause des consultants en immigration devant faire face à des allégations de mauvaise conduite devant la SPR, qui faisaient alors l’objet d’une procédure présidée par un vice-présidente adjoint de la Section d’appel de l’immigration, à qui le président de la CISR avait délégué les pouvoirs.

[26] Conformément au principe du stare decisis, je suis tenue de suivre la décision de la Cour fédérale rendue dans l’affaire Rezaei, à moins qu’il y ait une exception applicable à ce principe.

[27] La Cour suprême du Canada a déclaré que le principe du stare decisis est fondamental dans notre système juridique, mais qu’il n’est pas un carcan. Les précédents peuvent être réexaminés lorsqu’il y a une modification de la situation ou de la preuve qui « change radicalement la donne » ou lorsqu’une nouvelle question juridique se posenote de bas de page 15. J’ai examiné la question de savoir si l’un ou l’autre des arguments que M. Khan a soulevés en matière de compétence relève de ces exceptions au principe du stare decisis, et j’ai conclu qu’il n’en est rien.

a) Y a-t-il eu un changement dans les circonstances ou dans la preuve qui change radicalement la donne

[28] M. Khan affirme que la décision Rezaei ne s’applique aucunement à la présente instance parce qu’elle a été rendue suivant l’ancienne Loi sur l’immigration et parce que les dispositions relatives aux droits des personnes de comparaître à titre de conseil devant la CISR diffèrent de celles de la LIPR.

[29] Lorsque les faits de l’affaire Rezaei sont survenus, la Loi sur l’immigration était la loi applicable. La LIPR est toutefois entrée en vigueur le 28 juin 2002. M. Khan affirme que deux des dispositions de la LIPR soulèvent des questions de compétence dans la présente instance : l’article 91 de la LIPR, qui a mené à la création du CRCIC, et l’alinéa 161(1)b), qui prévoit que le président de la CISR peut prendre des règles visant la conduite des personnes dans les affaires devant la CISR, ainsi que les conséquences et sanctions applicables aux manquements aux règles de conduite. J’ai examiné la question de savoir si ces modifications législatives représentent des modifications dans la loi, de la situation ou de la preuve qui changent radicalement la donne et constituent une exception au principe du stare decisis, et j’ai conclu qu’il n’en est rien.

Les modifications législatives apportées à l’article 91 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et la création du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada ont-elles une incidence sur la compétence de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada de convoquer une procédure disciplinaire étant donné que le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada n’existait pas lorsque la décision Rezaei a été rendue

[30] Lorsque la décision Rezaei a été rendue en 2002, il n’y avait aucun organisme de réglementation des consultants en immigration. Depuis que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a désigné le CRCIC en juin 2011 en vertu du paragraphe 91(5) de la LIPR, les membres du CRCIC qui sont en règle peuvent représenter ou conseiller des clients, moyennant rétribution, concernant des questions relatives à la LIPR. M. Khan affirme que le CRCIC a le pouvoir exclusif de réglementer la conduite de ses membres. Je ne suis pas d’accord avec cette affirmation.

[31] Un examen de la jurisprudence suggère fortement que l’existence d’un organisme de réglementation n’influe pas sur la capacité d’un tribunal de contrôler qui comparaît devant lui. Dans l’arrêt R. c. Cunninghamnote de bas de page 16, la Cour suprême du Canada a contesté la prétention que la supervision de la cessation d’occuper des conseils relevait exclusivement des barreaux. Le juge Rothstein a déclaré ce qui suit : « Tribunaux et ordres professionnels jouent des rôles différents mais importants dans l’encadrement de l’exercice du droit de cesser d’occuper : les premiers préviennent l’atteinte à l’administration de la justice, les seconds soumettent à des sanctions disciplinaires les avocats qui ne respectent pas les normes professionnelles. Ces rôles ne sont pas mutuellement exclusifsnote de bas de page 17. »

[32] Dans le contexte administratif, dans la décision Wilder v. Ontario Securities Commissionnote de bas de page 18, le tribunal a rejeté l’argument selon lequel il n’était pas apte à prendre des mesures contre un avocat parce que seul le Barreau du Haut-Canada avait compétence pour réglementer la conduite professionnelle du conseil. Il a conclu qu’il n’usurpait pas le rôle du barreau parce que son objectif n’était pas de sanctionner l’avocat pour inconduite professionnelle, mais plutôt de remédier à une violation de sa loi, qui allait à l’encontre de l’intérêt public à l’égard de marchés financiers justes et efficaces, et de contrôler le déroulement de ses propres processusnote de bas de page 19.

[33] D’autres tribunaux ont également agi pour prévenir l’abus de procédure par des avocats qui sont membres d’organismes de réglementation, comme le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario dans la décision A.M. v. Michener Institutenote de bas de page 20 et la Commission de la location immobilière de l’Ontario, dans la décision TEL 45395 14 (Re)note de bas de page 21.

[34] Dans l’affaire Domantay c.Canadanote de bas de page 22, la Cour fédérale a reconnu que la CISR a l’obligation d’être proactive en ce qui concerne le statut des conseils afin de protéger le public, déclarant ce qui suit :

[L]a Commission a l’obligation de s’assurer que ceux qui représentent les clients avec lesquels elle traite sont des représentants autorisés, conformément au Règlement, ou qu’ils ne sont pas rémunérés pour leurs services. Cette obligation vise à protéger les demandeurs et à préserver l’intégrité du système d’immigration du Canada. [Caractères gras ajoutés.]

[35] Cette même obligation de protéger les plaideurs, en l’occurrence la demandeure d’asile que M. Khan représentait dans le dossier no VB 01910, et de préserver l’intégrité des systèmes d’octroi de l’asile et d’immigration du Canada sous-tend la présente instance. Le but de la procédure n’est pas de punir M. Khan, mais plutôt de préserver et de protéger l’intégrité et l’efficacité des procédures de la CISR. Ce rôle préventif de la CISR peut coexister avec tout rôle réactif du CRCIC.

[36] M. Khan affirme en outre que le droit des membres du CRCIC de représenter et de conseiller des personnes en vertu de l’article 91 de la LIPR a créé des droits fondamentaux pour les consultants en immigration. Je n’accepte pas cette affirmation.

[37] La question des droits fondamentaux de la personne qui cherche à agir à titre de représentant a été examinée dans l’affaire Rezaei. Dans cette affaire, le demandeur a cherché à obtenir une déclaration selon laquelle la CISR n’avait pas compétence pour suspendre la capacité d’un consultant de pratiquer devant la CISR ou la lui refuser, faisant valoir que la décision quant à savoir qui peut comparaître devant une commission ou un tribunal ne constitue pas une simple question de procédure, mais plutôt une décision quasi judiciaire qui a eu une incidence sur les droits fondamentaux d’une personne. En réponse, la Cour a déclaré ce qui suitnote de bas de page 23 :

[O]n ne peut pas dire que la question relative à la capacité de servir de représentant pour un revendicateur n’est pas procédurale parce que cela affecte les droits substantiels de la personne qui vise à agir à ce titre. Au cours d’une audience donnée, les seuls droits qui préoccupent le tribunal, ce sont ceux des parties; c’est-à-dire, le revendicateur et le ministre. Dans la mesure où la représentation par avocat affecte la procédure qui conduira à une décision relative aux droits substantiels au cœur du litige, cette question est de nature procédurale et est donc de la compétence de la CISR. [Caractères gras ajoutés.]

[38] En conclusion, j’estime que l’article 91 de la LIPR et la création du CRCIC qui en résulte n’empêchent pas la CISR de continuer à préserver et à protéger l’intégrité et l’efficacité de ses procédures. Je ne trouve pas non plus qu’il a créé des droits fondamentaux pour les consultants en immigration. Par conséquent, je juge que l’article 91 de la LIPR n’a pas changé radicalement la donne et ne fournit pas de motif de s’éloigner du précédent faisant autorité que l’affaire Rezaei a créé.

L’alinéa 161(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés a-t-il changé radicalement la donne

[39] J’ai ensuite examiné l’incidence, le cas échéant, de l’alinéa 161(1)b) de la LIPR, et j’ai conclu qu’il ne change pas radicalement la donne.

[40] L’alinéa 161(1)b) prévoit l’établissement de règles relatives à la conduite des personnes qui comparaissent devant la CISR. M. Khan affirme que l’intention du législateur en adoptant l’alinéa 161(1)b) de la LIPR était de remédier à l’absence du pouvoir de la CISR de réglementer la conduite des personnes qui comparaissent dans le cadre des procédures de la CISR. Il soutient que, si la CISR avait déjà ce pouvoir, l’alinéa 161(1)b) n’aurait pas été nécessaire. Il affirme que l’inclusion de l’alinéa 161(1)b) dans la LIPR est conforme à son point de vue selon lequel la CISR est une [traduction] « cour inférieure » qui n’a pas la compétence inhérente dont jouissent les cours supérieures de réglementer leurs procédures. M. Khan ajoute que la CISR n’a toujours pas le pouvoir de réglementer la conduite des personnes qui comparaissent devant elle, puisque le président n’a pas encore établi quelque règle que ce soit au titre de l’alinéa 161(1)b).

[41] L’arrêt Wilson c. Énergie Atomiquenote de bas de page 24 est cité à l’appui de ces arguments. Toutefois, je ne trouve pas que cette affaire est analogue à la présente instance. Dans cet arrêt, les dispositions de la nouvelle loi contredisaient ce qui était auparavant possible en common law. La common law avait permis le licenciement d’employés sans motif tant et aussi longtemps que le préavis minimal ou une indemnité avait été donné. Toutefois, des articles du Code canadien du travail imposaient des restrictions plus grandes aux employeurs, notamment l’obligation de fournir les motifs du congédiement et la possibilité d’ordonner la réintégration. La juge Abella a déclaré que les nouvelles dispositions législatives ne serviraient à rien si l’employeur pouvait s’appuyer sur la common law et congédier à nouveau l’employé en lui donnant le préavis et une indemnité de départnote de bas de page 25.

[42] En revanche, dans l’affaire dont je suis saisi, il n’y a aucune contradiction entre l’alinéa 161(1)b) et la common law, à savoir la décision Rezaei. J’estime que l’alinéa 161(1)b) ne fait que codifier ce qui existait déjà en common law.

[43] Je suis au courant de la décision rendue dans l’affaire Canada c. Brownnote de bas de page 26, qui pourrait être considérée comme appuyant la position de M. Khan. Dans cette décision, la loi régissant le Tribunal canadien des droits de la personne prévoyait également que le président peut établir des règles afin d’autoriser l’adjonction de tierces parties à une procédure. Le tribunal a ajouté à l’époque une tierce partie, et aucune règle n’avait été établie. Après la procédure de première instance, mais avant le contrôle judiciaire, de nouvelles règles ont été ajoutées. Elles prévoyaient expressément un processus pour ajouter des parties. La Cour fédérale a statué que, même si le tribunal avait depuis comblé le vide dans ses règles, il avait outrepassé sa compétence plus tôt en ajoutant une tierce partie, car si le législateur avait voulu que le tribunal ait un tel pouvoir, il « n’aurait pas assorti ce pouvoir de la condition préalable discrétionnaire touchant l’adoption de règles de procédurenote de bas de page 27 ». À mon avis, l’affaire Brown se distingue de la présente instance. Dans cette affaire, le tribunal n’avait aucun pouvoir conféré par common law sur lequel s’appuyer lorsqu’il a ajouté une tierce partie. La Cour fédérale a souligné que la propre jurisprudence du tribunal établissait deux scénarios où des tierces parties pouvaient être ajoutées de force, lesquels ne s’appliquaient pas. Dans le cadre de la présente instance, je dispose de la décision Rezaei sur laquelle m’appuyer.

[44] Je remarque en outre qu’il existe une jurisprudence donnant à penser que le renvoi exprès d’une loi à un pouvoir n’enlève pas un pouvoir antérieur conféré en vertu de la common law, comme l’affaire Geza.note de bas de page 28

[45] De plus, le libellé de l’alinéa 161(1)b) est permissif :
161.(1) Règles – Sous réserve de l’agrément du gouverneur en conseil et en consultation avec les vice-présidents, le président peut prendre des règles visant :

b) la conduite des personnes dans les affaires devant la Commission, ainsi que les conséquences et sanctions applicables aux manquements aux règles de conduite; […]

[46] L’article 11 de la Loi d’interprétationnote de bas de page 29 prévoit que l’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l’occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe « pouvoir » et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions. Je suis d’avis que, si le législateur avait voulu que le président ne puisse convoquer des procédures disciplinaires à l’égard d’un conseil qu’en adoptant des règles en vertu de l’alinéa 161(1)b), il aurait utilisé des termes prévoyant l’obligation.

[47] La jurisprudence appuie une telle interprétation. Dans l’affaire Wattonote de bas de page 30, la loi régissant le CRCIC prévoyait ceci : « Les statuts ou les règlements administratifs peuvent autoriser le conseil d’administration, les membres ou un comité du conseil ou des membres à prendre, contre un membre, des mesures disciplinaires allant jusqu’à son exclusion. Le cas échéant, ils prévoient également les circonstances justifiant la prise de telles mesures et les modalités applicablesnote de bas de page 31. » Dans l’affaire Watto, la question était de savoir qui pouvait prendre des mesures disciplinaires contre un membre. La Cour fédérale a confirmé la conclusion du tribunal selon laquelle les dispositions n’étaient pas censées être exhaustives et a simplement confirmé un pouvoir et établi ce qui devrait se produire si des règles étaient établies.

[48] Je note par ailleurs que les quatre sections de la CISR ont des règles qui accordent à un décideur le pouvoir discrétionnaire de faire tout ce qui est nécessaire pour régler une question en l’absence d’autres règlesnote de bas de page 32. Il est raisonnable de déduire que même, si l’alinéa 161(1)b) accorde maintenant le pouvoir législatif exprès de prendre des règles, s’il n’y a pas de règles, la CISR « peut prendre toute mesure nécessaire pour régler [la question] ». Une telle inférence est appuyée par l’arrêt Siloch c. Canadanote de bas de page 33, où le juge Décary a rappelé la règle générale suivante : « Il est reconnu qu’en l’absence de règles précises établies par loi ou règlement, les tribunaux administratifs fixent leur propre procédure, […] à la condition qu’ils respectent les règles de l’équité et, dans l’exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, à condition qu’ils respectent les règles de justice naturellenote de bas de page 34. »

[49] En conclusion, j’estime que l’alinéa 161(1)b) de la LIPR visait à codifier la common law existante et que, en l’absence de quelque règle que ce soit, je peux appliquer les procédures suivies dans l’affaire Rezaei. Je juge que l’alinéa 161(1)b) n’a pas changé radicalement la donne de façon à constituer une exception au principe du stare decisis.

b) Une nouvelle question juridique a-t-elle été soulevée

[50] M. Khan affirme que la CISR est une « cour inférieure » qui n’a le pouvoir de citation qu’en cas d’outrage au tribunal in facie. Il affirme en outre que la présente instance le prive de ses droits garantis par la Déclaration canadienne des droitsnote de bas de page 35 et la Charte canadienne des droits et libertésnote de bas de page 36. Je ne trouve pas ces arguments convaincants.

[51] Si je comprends bien son premier argument, M. Khan affirme que, comme la CISR n’est pas une cour supérieure, elle n’a pas la compétence inhérente de conserver son pouvoir d’empêcher que ses procédures soient entravées et abusées. La CISR est plutôt un tribunal établi par une loi; ses pouvoirs sont limités à ceux qui lui sont expressément accordés sous le régime de la LIPR; et sa capacité de sanctionner l’inconduite se limite, en common law, à traiter l’outrage en présence du tribunal. Je ne suis pas d’accord, pour les motifs ci après.

[52] Que les tribunaux administratifs comme la CISR aient ou non une compétence inhérente, la jurisprudence dit clairement qu’ils ont le pouvoir de contrôler le déroulement de leur propre procédurenote de bas de page 37.

[53] Il existe également une autorité judiciaire selon laquelle le pouvoir d’un tribunal administratif de déterminer qui peut comparaître devant lui est une question de procédurenote de bas de page 38.

[54] De plus, dans l’arrêt ATCO, la Cour suprême du Canada a avalisé la notion de pouvoirs plus vastes que ceux qui sont expressément énoncés dans la loi constitutive d’un tribunalnote de bas de page 39. En déterminant la compétence de l’Alberta Energy and Utilities Board, le juge Bastarache a déclaré que « […] sont compris dans les pouvoirs conférés par la loi habilitante non seulement ceux qui y sont expressément énoncés, mais aussi, par déduction, tous ceux qui sont de fait nécessaires à la réalisation de l’objectif du régime législatif […]note de bas de page 40 ». Je prends aussi acte de la conclusion de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Makisnote de bas de page 41 selon laquelle la déclaration voulant que les tribunaux soient impuissants à empêcher les abus de leurs procédures est d’une validité douteuse.

[55] En conclusion, je souligne que les objets de la LIPR comprennent le respect de l’intégrité du processus canadien d’octroi de l’asile et du système canadien d’immigrationnote de bas de page 42. Je suis d’avis que les pouvoirs nécessaires en pratique à la réalisation de ces objets par la CISR incluent le pouvoir de déterminer qui peut comparaître devant la CISR, afin de protéger ses procédures contre les abus.

[56] Cette conclusion règle effectivement les allégations de M. Khan selon lesquelles la CISR ne dispose du pouvoir de citation qu’en cas d’outrage au tribunal in facie, c’est-à-dire les outrages qui se produisent dans une salle d’audience. Les autorités judiciaires que M. Khannote de bas de page 43invoque sur ce point sont peu convaincantes, car elles portent toutes sur la question très précise de savoir si une cour supérieure peut et doit citer un conseil pour outrage, non pas sur la compétence d’un tribunal relativement à d’autres recours en cas de mauvaise conduite du conseil. Étant donné que la jurisprudence soutient la proposition selon laquelle je dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire à l’égard de recours pour prévenir les abus et maintenir l’intégrité de la CISR, y compris une procédure disciplinaire comme la présente, je n’ai pas à établir s’il y a outrage au tribunal ex facie ou in facie.

[57] Je passe maintenant aux arguments concernant la Déclaration canadienne des droits et la Charte canadienne des droits et libertés. Je crois comprendre que M. Khan affirme avoir droit à une audience. À cet égard, le 22 avril 2020, il s’est vu offrir une audience. Le 15 mai 2020, il s’est vu accorder une prolongation d’un mois pour envisager de choisir cette option. La date limite du 15 juin 2020 est passée sans aucune communication de sa part. M. Khan n’a pas demandé d’autre prolongation de délai et n’a pas choisi cette option avant cette date limite. Il n’a fourni aucun renseignement sur les efforts qu’il a déployés, le cas échéant, pour retenir les services d’un conseil avant la date limite ni sur les circonstances qui l’ont empêché de le faire avant la date limite. Bref, M. Khan a simplement laissé passer la date limite. Conséquemment, il ne s’est pas prévalu de l’option d’avoir une audience.

[58] M. Khan affirme également qu’il y a eu violation de l’article 15 de la Charte au motif qu’il est victime de discrimination parce qu’il est consultant en immigration et non avocat. Il a toutefois omis d’exposer clairement même les exigences minimales de la violation de l’article 15 de la Charter , à savoir que la présente instance crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue (la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques) et qu’elle impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantagenote de bas de page 44.

[59] L’arrêt Delislenote de bas de page 45, que M. Khan a invoqué, n’est pas applicable. Dans cet arrêt, il y avait une distinction législative dans le traitement de deux groupes, et, de toute façon, la juge L’Heureux-Dubé a convenu avec les juges majoritaires qu’il n’y avait eu aucune violation de l’article 15 de la Charte.

[60] Les procédures envisagées dans l’affaire Rezaei ne font aucune distinction entre les personnes dont la conduite peut être examinée et la façon dont elles peuvent l’être, qu’il s’agisse d’un consultant en immigration, d’un avocat, d’un parajuriste ou d’un représentant non autorisé.

[61] En conclusion, je statue que la CISR a le pouvoir de contrôler le déroulement de sa propre procédure, y compris celui de déterminer qui peut comparaître devant elle, et qu’elle n’est pas impuissante à empêcher les abus de ses procédures. J’estime en outre que l’absence d’audience dans la présente instance était le choix de M. Khan parce qu’il n’a pas respecté la date limite pour choisir la tenue d’une audience, et qu’il n’y a pas de discrimination dans la présente procédure. En d’autres termes, je constate qu’aucune nouvelle question juridique qui constituerait une exception au principe du stare decisis et à l’application de l’affaire Rezaei n’a été soulevée.

3. Les recours peuvent-ils être étendus à plus d’une section de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada

[62] Je suis amenée à conclure que l’affaire Rezaei demeure juridiquement valable et qu’aucune des exceptions au principe du stare decisis ne s’applique. Dans l’affaire Rezaei, le juge Beaudry a déclaré que la CISR peut imposer au demandeur une interdiction générale de comparaître devant la CISR, de façon plus générale que sur la base du cas par cas, afin « de préserver l’intégrité de son processus en tant que tribunalnote de bas de page 46 ». Cela tranche toute question de savoir si une sanction imposée peut être étendue à plus d’une section de la CISR. L’affaire Rezaei dit que la CISR peut le faire.

[63] De plus, le paragraphe 159(1) de la LIPR prévoit que le président est membre d’office des quatre sections de la CISR. En vertu du paragraphe 159(2), il m’a délégué son pouvoir de « tirer des conclusions de fait » et de « prendre toute mesure corrective appropriée » qui me semble nécessaire afin de « préserver et de protéger l’intégrité et l’efficacité des procédures de la CISR, y compris le fait d’interdire à M. Khan de représenter toute personne et de comparaître au nom de toute personne devant l’une ou l’autre des sections de la CISRnote de bas de page 47 ». La délégation du pouvoir du président de sanctionner la conduite d’un conseil est une délégation du pouvoir général du président de protéger l’intégrité des procédures à la CISR, non une délégation de pouvoir à l’égard d’une section en particulier.

B. Disjontion de la procédure

[64] M. Khan cherche à séparer les questions de compétence des questions de fond qui font l’objet de la présente procédure. Il soutient que cela évitera un gaspillage potentiel de temps et de ressources. Il cite la Cour d’appel fédérale dans la décision Loi antidumpingnote de bas de page 48 selon laquelle le fait de procéder de la sorte « peut entraîner, dans certains cas, la tenue d’auditions coûteuses qui seraient sans issue », ajoutant que si l’affaire devait faire l’objet d’une audience sur le fond, elle durerait au moins une demi journée. Je ne trouve pas ses arguments convaincants, pour les raisons énoncées exposées ci après.

[65] Il convient de noter que, dans la décision Anti-dumping , la Cour a ajouté qu’un processus de révision d’examen entraverait le travail du tribunal et a décidé qu’il valait mieux laisser le contrôle judiciaire en place jusqu’à ce que le tribunal ait rendu une décision finalenote de bas de page 49.

[66] La décision du juge d’appel Stratas dans l’arrêt C.B. Powellnote de bas de page 50 est instructive. Il y a fait référence au principe interdisant le fractionnement ou la disjonction des procédures administratives comme expression de la notion selon laquelle « à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son coursnote de bas de page 51 ». Il a déclaré que l’exception relative aux « circonstances exceptionnelles » est de portée étroite et qu’une question de compétence n’est pas en soi une circonstance exceptionnellenote de bas de page 52. Est également instructive la décision rendue dans l’affaire Shennote de bas de page 53, dans laquelle la Cour fédérale a affirmé qu’elle devrait presque toujours refuser de se prononcer sur des questions prématurées, soulignant la fragmentation possible du processus, les coûts et les retards afférents, la possibilité que le tribunal modifie sa décision à mesure que progresse la procédure, ou que la question finisse par devenir théorique si la demande est accueillie au terme du processus administratif.

[67] M. Khan s’appuie également sur l’affaire Wattonote de bas de page 54. Dans cette affaire, le juge Norris a appliqué le critère à trois volets pour accorder une injonction interlocutoire et a conclu que le critère était satisfait de sorte que la question juridique en cause correspondait à l’exception prévue en cas de circonstances exceptionnelles au principe interdisant la disjonction. J’estime que cette affaire se distingue de la présente procédure. La question de la compétence est beaucoup plus claire dans la présente procédure qu’elle ne l’était dans l’affaire Watto , compte tenu de la jurisprudence antérieure de common law sur cette question précise contenue dans l’affaire Rezaei. Il n’y a aucun préjudice irréparable, puisque la présente procédure tire à sa fin, ce qui est plus analogue aux faits de l’affaire Camp v. Canadanote de bas de page 55. La prépondérance des inconvénients ne milite pas en faveur de la disjonction, car elle entraînerait la fragmentation d’une procédure qui est presque terminée.

[68] Je suis consciente que, en rejetant la demande de M. Khan de disjonction de la procédure, je vais de l’avant sans ses observations sur le bien fondé des allégations. Cependant, il s’est vu offrir trois prolongations de délai pour présenter des observations, la plus récente par l’intermédiaire de ma lettre du 17 août 2020, qui demandait expressément des observations au sujet des allégations qui font l’objet de la procédure. Aucune observation n’a été présentée. C’était son choix.

[69] En conclusion, je juge qu’il n’y a aucune circonstance exceptionnelle qui justifierait la disjonction de la présente instance.

[70] Par conséquent, je n’accède pas à la demande de M. Khan.

C. Bien-fondé des allégations

[71] Comme il a été mentionné ci dessus, malgré les demandes répétées présentées à M. Khan pour obtenir des observations au sujet des allégations, aucune n’a été fournie. Je suis consciente des obligations en matière d’équité et de justice naturelle, mais j’estime qu’il a eu amplement l’occasion de présenter de telles observations. C’était son choix de ne pas le faire, un choix à ses risques et périls.

[72] M. Khan a déjà expliqué sa conduite dans le dossier. Son explication se trouve aux pages 27 à 29 de la transcription expurgée de l’audience, le 30 septembre 2019, dans le dossier no VB 01910 de la CISR. Après que le président de l’audience de la SPR eut annoncé qu’il suspendait l’audience, M. Khan a demandé à [traduction] « bavarder » avec le commissaire sans la demandeure d’asile et le témoin dans la salle d’audience. Le commissaire a accédé à la demande, précisant clairement que quoi que M. Khan dirait serait consigné dans le dossier.

[73] M. Khan a ensuite affirmé, au cours de l’heure environ qui venait de s’écouler, avoir envoyé des renseignements par messages textes à quelqu’un qu’il croyait être un membre de son personnel, mais qui s’est révélé être un membre du personnel de la CISR. Il a nié avoir tenté de suborner le témoin et a dit qu’il essayait de clarifier l’information concernant la date du décès et le document d’exploitation apporté par le témoin. M. Khan a dit qu’il voulait s’assurer que les renseignements qu’il avait dans son dossier au bureau étaient exacts pour ses observations. Il a reconnu qu’il n’aurait pas dû envoyer de messages textes, mais il a répété qu’il essayait de communiquer avec un membre de son personnel.

[74] Sauf le respect que je dois à M. Khan, cette explication ne tient pas la route au moment d’examiner le contenu des messages textes dans le contexte de ce qui ressort pendant l’audience, comme la transcription le montre.

[75] Par souci de commodité, les messages texte sont de nouveau reproduits ci-dessous :

[traduction]

13 h 35 Son époux est décédé en 2014

13 h 35 Et vous avez apporté l’affidavit

13 h 35 Pour l’avocat

13 h 37 Assurez-vous de dire que vous m’avez télécopié quelque chose provenant de lui

13 h 38 La télécopie n’était pas bonne, alors vous êtes de nouveau allé le voir, et vous me l’avez apportée quand votre dossier, il y a six semaines

13 h 38 *Il y a six semaines

Réponse du Greffe :

13 h 40 Bonjour, ici le préposé à la mise au rôle de la SPR, vous envoyez des messages textes au mauvais numéro

13 h 41 Merde

13 h 41 Vraiment

13 h 41 Désolé

[76] Le président de l’audience a entamé l’audience du 30 septembre 2019 en confirmant qu’un témoin se trouvait à l’extérieur, dans la salle d’attente (lignes 17 à 20, page 1). Le commissaire a ensuite posé quelques questions à la demandeure d’asile pour clarifier la date du décès de son époux, car il y avait eu une certaine confusion quant à savoir si la date était 2011 ou 2014. Le commissaire a déclaré lui avoir déjà demandé d’apporter à l’audience des documents supplémentaires qui aideraient à établir le moment du décès de son époux (lignes 7 à 14, page 2). La demandeure d’asile a répondu ne pas l’avoir fait, mais que son conseil lui a dit que le témoin allait témoigner (lignes 16 à 22, page 2). M. Khan a confirmé, étant donné que le témoignage de la demandeure d’asile était terminé, avoir télécopié un sommaire de déposition d’un témoin qui peut témoigner (lignes 26 à 29, page 2). La transcription indique en outre (lignes 10 à 15, page 3) que la date du décès a été précisée comme étant 2014, réponse qui a convaincu le commissaire, qui est passé à une autre série de questions.

[77] Le premier message texte de M. Khan indique que « [s]on époux est décédé en 2014 ». Il est difficile de comprendre pourquoi M. Khan aurait cherché à envoyer un message texte à son bureau pour clarifier la date du décès, alors qu’il semble que la question ait été clarifiée pendant l’audience. Je remarque également que le message texte est déclaratoire. Il ne demande pas d’information et ne donne pas d’instructions pour faire quoi que ce soit relativement à la date du décès, comme M. Khan l’aurait normalement fait s’il essayait de communiquer avec son personnel. De plus, il ressort clairement de la transcription que le témoin a été cité, en partie, pour confirmer l’année du décès de l’époux de la demandeure d’asile, et c’est bien l’une des premières questions que le président de l’audience lui a posées (ligne 19, page 19).

[78] Plus tard au cours de l’audience, le président de l’audience a demandé à la demandeure d’asile s’il y avait un avocat à l’étranger qui travaillait pour son compte et si des documents avaient été reçus de la part de cet avocat (ligne 1, page 9 à ligne 31, page 13). La demandeure d’asile a déclaré que le témoin était le lien entre l’avocat à l’étranger et elle (lignes 18 à 28, page 9). Le président de l’audience avait des questions au sujet d’un document qui a fini par être désigné en tant qu’affidavit et consigné en tant que pièce. M. Khan l’a informé que le témoin était la personne qui lui avait remis l’affidavit (lignes 36 et 37, page 10) et qu’il était venu au Canada il y a environ six à sept semaines (lignes 33 à 36, page 13). Il a également informé le président de l’audience que l’affidavit avait été renvoyé à l’avocat à l’étranger pour être [traduction] « corrigé » et qu’il espérait obtenir des renseignements à ce sujet de la part du témoin (lignes 8 à 32, page 14). Le témoin a été cité à comparaître peu de temps après (ligne 17, page 17 à ligne 3, page 18). Le président de l’audience a commencé à poser des questions, suivi de M. Khan. L’audience a peu après été suspendue.

[79] Dans ce contexte, il m’apparaît évident que les messages textes de M. Khan étaient destinés au témoin, dans le but de lui donner des instructions ou de l’influencer quant à ce qu’il devait dire pendant son témoignage. Les messages textes correspondent à ce que M. Khan a dit au président de l’audience au sujet du contenu du témoignage du témoin. C’est le témoin qui allait [traduction] « dire » quelque chose conformément aux instructions données dans les messages textes, non un membre du personnel de son bureau. M. Khan avait de plus informé le président de l’audience que le témoin témoignerait sur les détails précisés dans les messages textes, à savoir que dernier avait apporté l’affidavit de l’avocat à l’étranger parce qu’il fallait le corriger et qu’il était venu au Canada six ou sept semaines plus tôt. Dire que ces messages textes étaient destinés à un membre du personnel de son bureau n’a aucun sens.

[80] Je remarque que les captures d’écran fournies par le membre du personnel du Greffe de la SPR montrent le nom « Mumtaz Khan » en haut, ce qui correspond au prénom et au nom de famille de M. Khan. Quoi qu’il en soit, M. Khan a admis au président de l’audience avoir envoyé les messages textes en question, contestant seulement à qui ils étaient destinés.

[81] Lorsque j’examine le contenu des messages textes; la transcription de l’audience, qui rend compte des directives données dans les messages textes; ce dont le témoin devait témoigner; le juron par lequel M. Khan a répondu quand il a été informé qu’il écrivait au Greffe; et son explication déficiente au président de l’audience par la suite, je juge, selon la prépondérance des probabilités, que ces messages textes étaient destinés au témoin dans une tentative de lui donner des instructions concernant son témoignage ou d’influencer celui ci.

[82] En conclusion, je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations contre M. Khan ont été établies.

Décision

[83] Je conclus que M. Khan a tenté de suborner le témoin dans le dossier no VB 01910 de la CISR.

Recours

[84] Au moment de déterminer un recours approprié, je rappelle que son but est de préserver et de protéger l’intégrité et l’efficacité des procédures de la CISR. J’ai pris en compte la nature et la gravité de la conduite de M. Khan ainsi que la nature et la gravité du préjudice causé à la CISR. Je suis également consciente que M. Khan gagne sa vie en tant que consultant en immigration.

[85] Je n’ai pas trouvé beaucoup de cas de jurisprudence pour me guider au moment d’examiner les recours. J’ai considéré la mesure corrective imposée dans les procédures s’inspirant de l’affaire Rezai à la CISR, en particulier l’affaire Ehikwenote de bas de page 56, mais je ne trouve pas ces cas particulièrement utiles sur la question des recours en l’espèce. Je suis au courant de l’affaire Stanton, et je sais qu’il s’agissait d’une affaire disciplinaire dont le Barreau de la Colombie-Britannique était saisinote de bas de page 57, dans laquelle il y avait eu une tentative de suborner un témoin pour laquelle une suspension de trois mois avait été imposée à l’origine.

[86] La conduite de M. Khan dans le dossier no VB 01910 de la CISR était grave. Tenter de suborner un témoin lors d’une audience de la CISR est grave : cela mine l’intégrité des procédures de la CISR. Une telle conduite démontre par ailleurs un manque de respect envers la CISR. Cela pouvait aussi être préjudiciable à la personne que M. Khan représentait. Il est important que la CISR agisse afin de protéger ses procédures contre une telle conduite. En même temps, à la différence de l’affaire Ehikwe, il n’y a eu qu’une seule occurrence de la conduite en cause, et des mesures correctives pourraient avoir une incidence sur la capacité de M. Khan de gagner sa vie.

[87] Après avoir pris l’affaire en considération, je juge que la mesure corrective appropriée est une interdiction d’une durée de trois mois de comparaître à titre de conseil devant toute section de la CISR et de représenter toute personne, ou de faire office de conseil, relativement à toute instance concernant cette personne devant la Commission, à compter de maintenant. De plus, avant de comparaître de nouveau à titre de conseil devant toute section de la CISR et de représenter toute personne, ou de faire office de conseil, relativement à toute instance concernant cette personne devant la Commission, M. Khan devra fournir à la CISR la preuve qu’il a suivi avec succès le cours d’une demi journée « Pratique éthique », offert par le CRCIC, ou un cours de déontologie professionnelle équivalent. Cela devrait profiter à M. Khan et à la CISR, ainsi qu’aux membres du public qui envisageraient de demander l’aide de M. Khan dans des affaires devant la CISR.

Ordonnance

[88] Je rends la présente décision en enjoignant aux greffiers des bureaux régionaux de la CISR d’aviser toute personne que M. Khan représente dans des affaires devant la Commission qu’il est interdit à ce dernier de comparaître à titre de conseil devant toute section de la CISR et de représenter toute personne, ou de faire office de conseil, relativement à toute instance concernant cette personne devant la Commission, pour une période de trois mois à compter de la date de la présente décision. Par ailleurs, j’enjoins aux greffiers des bureaux régionaux de la CISR de prendre note que, avant de représenter toute personne devant la CISR à l’avenir, à n’importe quel titre, M. Khan devra fournir à la CISR la preuve qu’il a suivi avec succès le cours d’une demi journée « Pratique éthique », offert par le CRCIC, ou un cours de déontologie professionnelle équivalent.

Signed

Linda Taylor
Déléguée du président
Vice-présidente adjointe, Section d’appel de l’immigration

Date : 18 décembre 2020