Nigéria : information indiquant si des religieux, des groupes ou des autorités gouvernementales musulmans prononcent des peines de mort pour blasphème; le cas échéant, information indiquant qui a le droit de prononcer et d’exécuter de telles peines; information indiquant si de telles peines visent également les membres de la famille; plus particulièrement, information indiquant si des peines de mort sont prononcées par des personnes qui ne font pas partie des tribunaux islamiques dans des États qui n’appliquent pas officiellement la charia
Direction des recherches, Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Ottawa
Selon Human Rights Watch, la charia est en vigueur dans 12 États du nord du Nigéria dans le cadre de leur système judiciaire (2010, 146). De même, un avocat se trouvant aux États-Unis - qui a déjà pratiqué le droit aux États-Unis, a enseigné à l’Université de l’Iowa, a enseigné le droit à l’Université de Jos, au Nigéria, et a beaucoup écrit sur la mise en œuvre de la charia au Nigéria - a affirmé, dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches le 1er septembre 2010, que la charia est mise en application dans quelques États du nord du Nigéria, et ce, à des degrés divers. L’avocat a en outre affirmé que [traduction] « selon certains codes pénaux islamiques des États du nord, la peine de mort est théoriquement possible pour avoir “insulté le Prophète ou le Coran” » (1er sept. 2010).
Un chapitre d’un livre en plusieurs volumes sur la mise en œuvre de la charia dans les États du nord du Nigéria contient l’ébauche du code pénal islamique harmonisé (Draft Harmonized Sharia Penal Code) produit par le Centre d’études juridiques islamiques (Centre for Islamic Legal Studies) à l’Université Ahmadu Bello à Zaria, au Nigéria (Ostien 2007, 33). Selon ce code :
[traduit par le Bureau de la traduction]
406. (1) Quiconque, par quelque moyen que ce soit, injurie, insulte, dénigre, humilie le Saint Prophète Mahomet (pbsl) ou ses prophéties ou tout autre prophète d’Allah reconnu par l’islam, ou cherche volontairement à inciter à un outrage envers le Saint Prophète Mahomet (pbsl) ou à ses prophéties ou envers tout autre prophète d’Allah reconnu par l’islam est passible de la peine de mort.
(2) Quiconque détruit, endommage ou profane le Saint Coran de quelque façon que ce soit avec l’intention, ce faisant, d’insulter, d’humilier, de dénigrer le Saint Coran, ou l’islam, ou de lui manquer de respect […] est passible de la peine de mort (ibid., 134).
Toutefois, l’ébauche du code pénal islamique harmonisé - qui est [traduction] « annotée pour montrer les différences entre elle et, d’une part, le code pénal de 1960 et, d’autre part, les codes pénaux islamiques adoptés par 10 États qui appliquent la charia » (ibid., 33) - souligne que seul le code pénal de l’État de Kaduna contient l'article 406, y compris les deux paragraphes (ibid., 134). La même source signale également que l’État de Kano, en particulier, a l’alinéa suivant dans son code pénal :
[traduit par le Bureau de la traduction]
402. b) Quiconque, par quelque moyen que ce soit, insulte publiquement en utilisant un mot ou une expression par écrit ou verbalement au moyen d’un geste qui manifeste ou démontre toute forme d’outrage ou d’injure contre le Saint Coran ou tout prophète est passible de mort sur déclaration de culpabilité (ibid., 133).
L’avocat a affirmé que les peines de mort peuvent être infligées uniquement par les juges des tribunaux islamiques dans les États où les dispositions pertinentes du code pénal sont en vigueur (1er sept. 2010).
Toutefois, en 2002, des médias ont souligné que le gouverneur adjoint de l’État de Zamfara a demandé la mort d’une journaliste nigériane (This Day 17 déc. 2002; Daily Telegraph 30 nov. 2002; BBC 26 nov. 2002); la journaliste était accusée d’avoir insulté le Prophète dans un article de journal qu’elle a écrit dans le cadre de sa couverture du concours de beauté Miss Monde (ibid.; Daily Telegraph 30 nov. 2002). Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches le 27 août 2010, une associée principale dans un cabinet d’avocats du Nigéria, qui a été avocate de la défense dans de nombreuses causes liées à la charia au Nigéria, a souligné que cet incident est un exemple où un représentant de l'autorité autre qu’un religieux musulman se prononce en faveur de la mort d’une personne en raison d’un blasphème. Toutefois, l’associée principale a affirmé que le prononcé du gouverneur a ensuite fait l’objet d’un débat, et que la majorité des religieux musulmans a conclu qu’un politicien n’a pas la compétence de prendre de telles décisions (associée principale 27 août 2010). Le gouvernement national du Nigéria a publié une déclaration en 2002 selon laquelle la fatwa (décision religieuse) prononcée par le gouvernement du Zamfara demandant la mort de la journaliste nigériane n’était pas valide et ne serait pas mise à exécution (BBC 26 nov. 2002; This Day 17 déc. 2002). De plus, l’autorité islamique suprême a affirmé qu'il ne fallait pas donner suite à la fatwa (Daily Telegraph 30 nov. 2002).
L’avocat a par ailleurs affirmé que des gangs de jeunes dans des villes du nord ont tué des personnes qui, selon eux, avaient insulté le Prophète ou le Coran (1er sept. 2010). Il a déclaré toutefois que
[traduction]
[d]ans au moins certains de ces cas, les jeunes ont été arrêtés et déclarés coupables de meurtre; la Cour suprême du Nigéria a jugé que leur opinion selon laquelle la personne qu’ils ont tuée avait insulté le Prophète […] n’était pas une excuse et qu’ils n’avaient pas le droit d’agir en justiciers (avocat 1er sept. 2010).
L’avocat a affirmé que si un tribunal islamique du nord prononçait une peine de mort pour avoir insulté le Prophète ou le Coran,
[traduction]
le condamné serait envoyé en prison pour attendre l’exécution de la peine, mais avant que cela se produise, il faudrait que le gouverneur donne son consentement, ce qui ne se produirait certainement jamais (ibid.).
On peut lire dans un chapitre sur la charia et le droit national au Nigéria, qui figure dans un livre publié par les Leiden University Press concernant la charia dans 12 pays musulmans, que très peu des peines qui sont [traduction] « choquantes pour les sensibilités modernes » (comme les amputations ou la lapidation à mort) ont été mises à exécution au Nigéria (Ostien et Dekker 2010, 34). Les auteurs sont d’avis que les gouverneurs des États du nord du Nigéria sont conscients [traduction] « des intérêts généraux de leurs États »; ils ajoutent qu’il y a des pressions nationales et internationales contre l’exécution de peines qui sont dans une large mesure considérées comme [traduction] « démodées et inhumaines » (ibid., 34-35).
La même source mentionne en outre que trois des États du nord du Nigéria (Borno, Gombe et Yobe) n’ont pas encore appliqué leurs codes pénaux islamiques (ibid., 44). Les auteurs soulignent aussi qu'on se tourne de moins en moins vers les tribunaux islamiques pour trancher les causes criminelles dans les autres États du nord (ibid., 44). De plus, Human Rights Watch signale que les peines de mort prononcées par des tribunaux islamiques inférieurs ont été annulées en appel (2010, 146). Selon le livre sur la charia, les policiers et les procureurs préfèrent porter leurs accusations contre des musulmans devant les cours de magistrat et les hautes cours plutôt que devant les tribunaux islamiques, en particulier si le crime en question est grave (Ostien et Dekker 2010, 44). Les auteurs du livre sur la charia affirment que moins de peines hudud (p. ex. des peines particulières, comme la lapidation à mort ou l’amputation pour des infractions précises) (ibid., 6) sont prononcées car elles ne sont pas souvent mises à exécution (ibid., 44). Toutefois, Human Rights Watch souligne que les tribunaux islamiques inférieurs continuent de prononcer des peines de mort (2010, 146).
Le livre sur la charia mentionne qu’il y a un certain nombre de peines en attente d'être exécutées; en conséquence, les personnes condamnées par les tribunaux islamiques [traduction] « languissent en prison » (Ostien et Dekker 2010, 44).
L’associée principale a affirmé que selon ce qu’elle en sait, aucune peine de mort pour blasphème n’a été mise à exécution au Nigéria (27 août 2010). L’avocat a lui aussi affirmé qu’à sa connaissance, aucune peine de mort pour avoir insulté le Prophète ou le Coran n’a été prononcée par les tribunaux islamiques et aucune peine de ce type n’a déjà été exécutée (1er sept. 2010). De plus, dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches le 26 août 2010, un professeur de sociologie à l’Université de Californie, qui a écrit des articles sur l’islam, y compris sur la charia au Nigéria, a également déclaré qu’à sa connaissance, aucune peine de mort pour blasphème n’a été prononcée par un religieux musulman au Nigéria.
Par ailleurs, l’avocat a affirmé qu’une peine de mort pour avoir insulté le Prophète ou le Coran n’est pas possible dans les États du sud, pas même en théorie (1er sept. 2010). Il a ajouté qu’une peine de mort ne pourrait pas viser un membre de la famille de la personne accusée d’un crime aux termes de la charia (avocat 1er sept. 2010). Parmi les sources qu’elle a consultées dans les délais fixés, la Direction des recherches n’a trouvé aucune autre information allant en ce sens.
Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l’aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais fixés. Cette réponse n’apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d’une demande d’asile. Veuillez trouver ci-dessous les sources consultées pour la réponse à cette demande d’information.
Références
Associée principale, Aires Law Firm (Nigéria). 27 août 2010. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.
Avocat. 1er septembre 2010. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.
British Broadcasting Corporation (BBC). 26 novembre 2002. « Nigerian Government Rejects "Fatwa" ». <http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/2514821.stm> [Date de consultation : 8 sept. 2010]
The Daily Telegraph. 30 novembre 2002. Tume Ahemba. « Death Sentence on Nigerian Journalist ». (Factiva)
This Day. 17 décembre 2002. Stephen Kola-Balogun. « Fatwa: Beyond Individual Human Rights ». (AllAfrica.com) (Factiva)
Human Rights Watch. 2010. « Nigeria ». World Report 2010: Events of 2009. <http://www.hrw.org/world-report-2010> [Date de consultation : 9 sept. 2010]
Ostien, Philip. 2007. « The Centre for Islamic Studies’ Draft Harmonised Sharia Penal Code Annotated ». Sharia Implementation in Northern Nigeria, 1999-2006, A Sourcebook. Vol. IV, chap. 4, partie III. Ibadan [Nigéria]. Spectrum Books. <http://www.sharia-in-africa.net/media/publications/sharia-implementation-in-northern-nigeria/vol_4_4_chapter_4_part_III.pdf> [Date de consultation : 6 sept. 2010]
Ostien, Philip et Albert Dekker. 2010. « Sharia and National Law in Nigeria ». Sharia Incorporated: A Comparative Overview of the Legal Systems of Twelve Muslim Countries. Sous la direction de J.M. Otto. Leiden : Leiden University Press.
Professeur de sociologie, University of California (UC). 26 août 2010. Communication écrite envoyée à la Direction des recherches.
Autres sources consultées
Sources orales : Des chercheurs à la George Mason University (GMU) et à l’Emory University n’ont pas été en mesure de fournir des renseignements.
Sites Internet, y compris : Amnesty International (AI), Carnegie Council, Council on Foreign Relations (CFR), États-Unis - Department of State, Freedom House, Government of Nigeria, Harvard University, International Crisis Group, New York University, Reporters sans frontières (RSF), The Washington Post.